index de Monda Solidareco

le kiosque des Citoyens du Monde

 (24,2) Octobre 1988

LES AMERINDIENS ET NOUS

ou le témoignage de Dominique Temple

Sommaire du Fonds Mondial

Comme chaque année, l'Institut d'Etudes Mondialistes, institution créée - comme le Fonds Mondial - sous l'égide du CONGRES DES PEUPLES, a tenu sa session au château de " la Lambertie, en France, du 23 au 31 Juillet.

Le thème de cette année était " l'Economie Mondiale. " Il intéressait donc au plus haut point le Fonds Mondial qui oeuvre pour le développement - entre autres - économique.

Et, de fait, ceux d'entre nous qui y assistaient ont eu la chance de recevoir le message de Dominique TEMPLE dont la conférence a profondément impressionné l'auditoire. Un véritable choc culturel ! Une toute autre ouverture à l'étude des rapports économiques, sociaux et culturels dans les sociétés humaines.

Et pourtant, rien de nouveau : simplement la réactualisation d'un mode de production bien plus ancien que ceux que nous connaissons, puisqu'il s'agit de celui des civilisations des Indiens d'Amérique du Sud. Système dont les fondements, détruits par la colonisation, resurgissent après quatre siècles de domination, de négation., de persécution.

Ce renouveau a été. rendu possible par une série d'événements et de luttes depuis les années 1970 dont les faits. marquants ont été, successivement, la promulgation de la loi d'inaliénabilité des terres indiennes au Pérou, l'éphémère existence du Conseil Indigène du Paraguay" en 1974, un vaste mouvement de prise de conscience de l'indianité en Amazonie et, enfin, en 1987, le triomphe. à TR.IPOLI. (Libye) des thèses de la. RECIPROCITE face aux thèses intégrationnistes de tutelle des Indiens au sein des mouvements indianistes.

Car c'est du système de production basé sur les principes de la RECIPROCITE COMMUNAUTAIRE dont il s'agit ici. Qu'est-ce que la RECI.PROCITE ?

La RECIPROCITE s'oppose à la notion occidentale de l'ÉCHANGE. Comment cela ?

La hiérarchie sociale indienne est fondée sur le PRESTIGE de ses membres. Et le PRESTIGE s'acquiert par le DON. Plus on donne à autrui, plus on s'élève, c'est-à-dire qu'on acquiert plus de pouvoir, ou mieux, de responsabilité. Bien entendu plus on désire s'élever, plus on doit donner... et plus on doit produire : un tel système socio-économique est générateur d'abondance. Or, pour que chacun reçoive d'autrui, il suffit que le don soit reproduit. Ainsi l'économie de RECIPROCITE est l'économie de REPRODUCTION. DU DON (*).

Or, voici que le don d'une chose matérielle (qui peut être un moyen de production) se traduit, pour le donateur, par l'acquisition d'une valeur spirituelle : une plus haute responsabilité. D. TEMPLE définit celle-ci comme une valeur d'"ETRE".

Et cette valeur d' " être " est radicalement différente des valeurs dégagées par l'économie capitaliste qui est basée sur l'ACCUMULATION sans fin de biens matériels. Dans ce cas, on n'échange que pour acquérir encore plus : les valeurs de référence sont des valeurs d'AVOIR.

De ce point de vue, les systèmes collectivistes s'opposent faussement au capitalisme : surgis en son sein et en référence à lui, ils procèdent de la même logique, ne prétendant que généraliser la valeur d'"avoir" de la propriété individuelle à la propriété collective. Privatisé ou collectivisé, l'ÉCHANGE reste toujours fondé sur l'INTÉRÊT, c'est-à-dire le contraire du souci de l'autre.

C'est le souci de l'autre qui fonde la RECIPROCITE. Celle-ci conduit donc a la solidarité (comment pouvions-nous nous y intéresser ?), au bien commun, au service public. La notion de l''être" n'est plus individuelle, mais communautaire, pluridimensionnelle.

La référence à une entité commune supérieure à celle de l'individu est le " plus être d'Humanité " que la RECIPROCITE engendre.

Les Indiens ACHé du Paraguay se nommaient " Nous, les vrais Hommes. " Leur génocide s'est achevé en 1975... Chez les Jivaros, l'hospitalité et le don de tout ce que l'on possède instaure une relation d'amitié plus puissante que la vie et la mort.

Mais que se passe-t-il l'interface des deux systèmes lorsqu'un Indien entre en contact avec un Occidental ?

" RECIPROCITE " : pour acquérir du PRESTIGE; l'Indien donne autant qu'il peut.
" ECHANGE " : pour ACCUMULER du bien, l'Occidental prend tout et rend le moins possible.

C'est ce que Dominique TEMPLE appelle le " quiproquo historique ", car chacun ignore les valeurs de l'autre. L'ennui est que le quiproquo fonctionne à sens unique : la dépossession matérielle de l'Indien au profit de l'Occidental... qui ne reconnaît pas le " plus d'être " de l'Indien !

Voilà comment, florissantes dans les temps précolombiens, les économies indiennes se sont dégradées très vite à l'époque de la décolonisation pour tomber au seuil de la simple subsistance, souvent même au-dessous : dominées, par une logique d'ÉCHANGE inégal par essence, elles étaient condamnées au sous-développement dès lors que le pouvoir économique de l'Empire était décapité dans le prestige de l'Inca (l'Empereur).

Et voici qu'avec les meilleurs sentiments, comme ceux des O.N.G. qui se préoccupent du développement dans les régions économiquement dominées, on peut conforter un système destructeur : les projets de développement ont pour objet d'augmenter 1' " avoir " en ignorant l' " être " au sens de la réciprocité. Aussitôt les Indiens redistribuent 1' " avoir " au titre du don... et quand cet " avoir " représente le capital d'une entreprise ou d'une coopérative, cette dernière ne peut plus fonctionner. Alors les O.N.G. s'emploient à modifier le :système de production. indien pour l'intégrer à celui de l'ÉCHANGE. Dominique TEMPLE nomme cela l' "économicide."

Force est de reconnaître que le FONDS MONDIAL lui-même n'est pas à l'abri de ces erreurs, puisque le projet Ayllunakataki Wank'Unaka (" des lapins pour les Communautés ") d'EL ALTO DE LA PAZ en Bolivie - dans la tourmente d'une énorme inflation et des conditions climatiques d'une rare extrémité - paraît bien avoir échoué aussi pour des raisons évoquées par Dominique TEMLE.

Voici donc, en même temps qu'une révélation culturelle de première grandeur, une interpellation énergique de notre pratique ; en effet, le M.UTUALISME ne pourrait-il se concevoir comme une généralisation institutionnelle du principe de RECIPROCITE ? Et, dans ce cas, ne serait-il pas envisageable de mettre au point un " interface " efficace entre le mutualisme et la pratique réciprocitaire des Indiens de sorte que chaque partenaire concoure au développement de l'autre en y gagnant ce " plus être d'Humanité " que définit si bellement Dominique TEMPLE ?

Envoyer un message

 

abonnement ou adhésion

    haut