(37,1) Juin 1992
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Nous savions déjà que le monde était fini, car tous les territoires terrestres sont désormais découverts, répertoriés, distribués entre les États. Il n'est plus possible d'exporter nos crises à l'autre bout de la terre et la lune est encore trop loin pour cela. Or, nous prenons maintenant conscience que le monde s'abîme. La pollution maritime, délibérée ou accidentelle, est de plus en plus préoccupante. La couche d'ozone se dégrade et l'effet de serre nous expose à des bouleversements climatiques. Déforestation rime avec désertification et érosion des sols, alors que la croissance démographique inquiète, la diversité génétique et l'activité biologique elle-même sont menacées. Ne laissons pas la planète étouffer sous les rapports préliminaires, mais ne les brûlons pas pour autant ! RIO n'est pas un sommet de plus. RIO va refléter une nouvelle configuration des relations internationales. La coupure Est-Ouest n'existe plus. L'économie de marché et la démocratie occidentale sont devenues des valeurs communes. Reste le conflit Nord-Sud, qui se retrouve au premier plan. Mais le débat n'est plus simplement entre pays riches et pays pauvres. Certes, le clivage demeure. Les pays industrialisés, largement responsables de la pollution du globe et suffisamment disponibles pour réfléchir à de nouvelles préoccupations, peuvent s'offrir le luxe de contraintes écologiques. Les pays économiquement dominés restent attachés à la priorité plus élémentaire de leur développement économique, Après s'être vus imposer un modèle de développement, il faudrait maintenant qu'ils y renoncent, qu'ils se plient à un modèle encore plus coûteux... et qu'ils participent à la réparation des dommages causés par d'autres ! Dans l'intérêt bien compris de l'humanité. Mais il n'existe pas un seul sud. Entre NPI (Nouveaux Pays Industrialisés) et PMA (Pays les Moins Avancés), l'écart est grand. Or à RIO, si l'Amérique Latine est coupée en deux, ce ne sera pas entre les NPI et les autres, mais entre, d'un côté, les pays amazoniens, sensibilisés aux problèmes de l'environnement et relativement offensifs, et, de l'autre, les États du Cône sud, attirés sur la voie du libre-échange à l'échelle du continent américain et donc plus modérés. Les États d'Asie du Sud-est, pour leur part, courtisés par les États-Unis, entendent traiter sur un pied d'égalité avec les pays industrialisés. Le Nord lui-même ne forme pas un bloc homogène. Les États d'Eurasie doivent assurer leur reconstruction et les États-Unis, loin de montrer l'exemple en matière d'environnement, risquent de bloquer tout avancée à la Conférence. Voici l'état du Nouvel Ordre Mondial, un ordre qui inclut un nouveau désordre... Cependant ces acteurs traditionnels que sont les États et les Organisations Internationales* (mais celles-ci ne font que refléter les rapports de force inter étatiques) vont devoir cohabiter avec de nouveaux acteurs. Les réunions des ONG parallèles aux conférences onusiennes ne sont pas nouvelles. Mais pour la première fois, les ONG sont en mesure de faire entendre leur voix à l'échelle mondiale et de bousculer la diplomatie classique. Bien qu'en grande partie originaire du Tiers-Monde, les ONG qui seront présentes à RIO ne se coulent pas dans le clivage Nord-Sud. Leur position pourrait même s'approcher davantage de celles des États du Nord que de celles des États du sud. En réalité, les ONG ont vocation à se situer au-delà des intérêts étatiques et à incarner les intérêts des peuples. Plus qu'un compromis entre développement (même devenu " soutenable ") et environnement, elles devraient mettre l'accent sur la nécessité d'un autre développement. Mais elles doivent d'abord enrichir leur expérience de la " diplomatie populaire. " Que peut-on attendre d'une telle combinaison d'intérêts ? Les objectifs fixés pour RIO sont ambitieux : rédiger une " Charte de la Terre " scellant l'engagement de ses signataires - États et ONG - à protéger l'environnement mondial, arrêter des plans d'action détaillés énumérant les mesures à prendre, adopter deux conventions internationales, l'une sur les changements climatiques, l'autre sur la diversité biologique... et évaluer les coûts, c'est-à-dire les contributions des États au " Fonds pour i 'Environnement Mondial. " A deux semaines du Sommet, la première des deux conventions vient d'être adoptée provisoirement par les 143 États négociateurs. Points positifs : ces États s'engageraient à réduire d'ici à l'an 2000, sur la base de leur niveau de 1990, leurs émissions de gaz à effet de serre et aideraient, par le biais du Fonds, les PVD à remplir ces nouvelles obligations. Points négatifs : un objectif général de réduction au lieu d'un échéancier chiffré, aucune contrainte pour atteindre l'objectif, pas question d'une " éco-taxe " sur l'énergie, un système de contribution purement volontaire au Fonds. Ce texte va être discuté à RIO. C'est là où les ONG vont devoir faire preuve d'homogénéité pour pousser les mesures à la hausse, d'autant plus que les contraintes écologiques pourraient bien être rentables grâce aux économies d'énergie... C'est ce que vient de souligner le rapport de la Banque Mondiale, tout en préconisant des solutions de solidarité. Un indice encourageant, alors qu'en décembre on se demandait si la planète n'était pas polluée par les économistes... de la Banque Mondiale A défaut de prôner une nouvelle institution mondiale, qui, dans les circonstances actuelles, ne pourrait que reproduire le modèle onusien - non légitime -, les ONG doivent parvenir à enclencher une dynamique : prendre les grandes puissances au piège de leurs discours sur le Nouvel Ordre Mondial. Isabelle Hannequart, le 21 mai 1992 *RIO DE JANEIRO (Brésil) où se tient en juin une Conférence des Nations Unies sur l'Environnement et le Développement, dite aussi " Sommet de la Terre. " *Eurasie : ensemble continental comprenant l'Asie et l'Europe *ONG : Organisations Non Gouvernementales (telles que le Fonds Mondial de Solidarité contre la Faim) *Organisations Internationales : organisations nées d'accords entre les États, telles que le système " onusien " ONU, UNESO, UNICEF, FAO.. *PVD : Pays en Voie de Développement. Ce terme est un euphémisme officiel alternatif de " Tiers-Monde ", et désigne les pays qu'au Fonds Mondial nous appelons " économiquement dominés. "
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