(78,3 ) Août 2003
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C’est pourtant celle que se posent désormais des centaines de millions de femmes et d’hommes à travers le monde devant la déferlante commerciale, médiatique et politique qui noie cette question scientifique, économique et éthique dans les bouillons glauques de l’approximation et des contrevérités. Le Fonds Mondial ne financera certainement pas de sitôt des projets à base d’« OGM », mais la pression des exportateurs des régions nanties sur les agricultures paysannes du monde va devenir telle qu’il paraît de notre devoir d’apporter les éléments d’information et de réflexion à ceux d’entre nous qui en seront la cible. Nous tenterons donc d’expliquer en deux articles pourquoi la question est mauvaise et comment se déterminer par rapport aux enjeux et aux risques de cette évolution technologique qui veut se donner des airs de révolution. Voici quelques années, des populations rurales du Cameroun avaient été gravement intoxiquées par la consommation d’aliments à base de manioc sans doute mal préparés. C’est que le tubercule de manioc contient naturellement un poison violent, l’acide cyanhydrique, dont la teneur est d’autant plus élevée que la variété est plus amère. Après préparation, les cossettes ou farines de manioc ne doivent pas contenir plus de 0,015 % de cet acide pour être consommables. Pourquoi existe-t-il des variétés différentes de manioc quant à ces caractères : amertume et teneur en acide cyanhydrique ? c’est que, depuis des générations, les cultivateurs de manioc ont peu à peu sélectionné de façon empirique des populations de ce tubercules portant le « bon caractère » selon leurs goûts, sans avoir les moyens d’identifier et de maîtriser le « mauvais caractère » lié à la présence du poison. Plus récemment, les instituts de recherche et les sélectionneurs privés se sont mis à accélérer cette sélection en l’élargissant à d’autres caractères intéressants, comme la productivité ou la résistance aux maladies. Les cultivateurs de manioc sélectionnaient surtout en triant les bonnes plantes pour s’en servir comme semences : ils créaient des variétés traditionnelles. Les chercheurs utilisent diverses méthodes scientifiques de croisements entre variétés traditionnelles et populations naturelles pour rassembler au mieux les caractères intéressants dans une situation donnée et éliminer les caractères nuisibles. Ainsi se sont multipliées au fil du temps les variétés de manioc qui peuvent être utilisées dans des conditions agronomiques variées et destinées à des usages diversifiés. Et il en est de même pour toutes les plantes cultivées à travers le monde ! et il en est de même pour tous les animaux domestiques du monde ! ça dure depuis 10.000 ans, quand nos lointains aïeux ont commencé à domestiquer les premières plantes cultivées (ægylops –l’ancêtre du blé-, pois, lentilles) et les premiers animaux domestiques (moutons, chèvres…). Tout cela a été sélectionné et amélioré de façon à réunir les qualités (= ensemble de caractères) qui satisfassent au mieux aux multiples besoins des consommateurs ainsi qu’aux sévères exigences de culture ou d’élevage. Et ça continue, car bien des progrès restent à faire : demandez à nos amis du groupement Miwonovi de Djankassé, au Togo, s’ils ne rêvent pas d’une race de poules qui produise beaucoup de gros œufs en mangeant peu sans attraper la peste aviaire ou souffrir des coups de chaleur ; demandez à nos amis du groupement AJES de Song Naba, au Burkina Faso, pourquoi ils ont préféré la race locale de porcs pour réussir « leurs porcs au four » ; demandez aux femmes des Cinq Doigts, à Houéto-Fifonsi, au Bénin, si elles sont satisfaites de la variété de manioc qu’elles transforment en gari et en tapioca... Amertume, teneur en acide cyanhydrique, productivité, résistance aux maladies, adaptation au climat sont donc des caractères que chacun peut apprécier, vérifier, et même, par des méthodes scientifiques, mesurer. Mais, si je regarde, par exemple, ce tubercule de manioc (page précédente), où se niche son caractère doux ou amer ? comment le transmet-il à sa descendance ? Tout caractère niche dans ce qu’on appelle l’information génétique de la cellule. Tous les êtres vivants sont constitués de cellules microscopiques, depuis une seule (comme les globules du sang ou les bactéries) jusqu’à plusieurs millions (comme vous ou moi). Chaque cellule contient un noyau qui rassemble sous forme de gènes, assemblés en chromosomes constitués d’ADN, toute l’information à partir de laquelle peut être reconstitué l’organisme entier. C’est d’ailleurs ce qui se passe au moment de la reproduction. Les cellules et leurs noyaux sont visibles avec un microscope optique. Les chromosomes et les gènes ne sont visibles qu’au moyen d’un microscope électronique très puissant : c’est pourquoi on ne les a découverts que depuis moins d’un siècle. Un caractère est commandé par un ou plusieurs gènes. La sélection et l’amélioration dont nous parlions plus haut s’obtiennent par le tri des individus porteurs de ces gènes ou par le transfert de ces gènes à partir d’une variété de plante (ou d’une race animale) vers une autre. Il s’agit donc dans tous les cas d’une manipulation qui modifie l’information génétique de ces êtres vivants. Voilà pourquoi les OGM (« Organismes Génétiquement Modifiés ») ne sont en rien les produits d’une révolution technologique, puisque tout ce qui existe sur terre en culture et en élevage est le résultat de modifications génétiques entreprises par l’homme depuis 10.000 ans, bien qu’il n’en connaisse les mécanismes intimes que depuis un siècle. Alors, si tout est OGM, où est le problème ? bonne question ! Vous avez sans doute remarqué dans ce qui précède que la sélection des caractères et leur transfert ne dépassaient jamais le cadre de l’espèce : la poule pour Miwonovi, le porc pour AJES, le manioc pour les Cinq Doigts. Si on a besoin de réduire le taux d’acide cyanhydrique dans le manioc, on va chercher les gènes utiles dans d’autres variétés ou dans des populations naturelles de manioc. Pas chez la tomate, l’agouti ou la mouche tsé-tsé… Or, la vraie évolution technologique est celle-ci : tout comme on sait désormais voir les gènes avec les instruments appropriés, on sait aussi aller les chercher là où il faut dans l’équipement génétique de la cellule, et on sait les intégrer dans n’importe quelle cellule étrangère, quelles que soient les espèces en cause. On obtient alors des organismes transgéniques, terme beaucoup plus approprié que « OGM ». Ce n’est pas absolument nouveau. En recourant à des techniques parfaitement naturelles, l’homme a déjà fait évoluer le genre Ægylops vers le genre Triticum (le blé), ce qui transcende largement les limites de l’espèce. Il a aussi créé le mulet ou le bardot (croisement des espèces âne et cheval) et le triticale (croisement entre le blé et le seigle). Et, dans ces cas, la manipulation porte sur tous les caractères de ces êtres vivants, et non sur un tout petit nombre comme dans les organismes transgéniques actuels. D’un point de vue éthique, personne n’a jamais trouvé à y redire… Voici donc que, par des techniques de laboratoire, on peut désormais rapidement introduire au sein des espèces des caractères qui ne s’y trouvaient pas auparavant. Par exemple on obtient déjà ainsi des plantes résistantes aux insectes ou aux herbicides, des plantes enrichies en vitamines, des plantes ou des microorganismes qui produisent des médicaments ou des matières plastiques ou des réactifs agroalimentaires, des animaux de laboratoire, du matériel biologique de recherche scientifique. L’accélération est vertigineuse. Dans chacun des domaines couverts par la transgénèse (agriculture, élevage et pisciculture, industries pharmaceutique, chimique et alimentaire, environnement) les applications potentielles paraissent illimitées. La transgénèse apparaît donc a priori comme un nouvel instrument de connaissance scientifique d’une efficacité inconnue jusqu’à présent. La connaissance est toujours en soi un bienfait absolu. Reste à examiner ce que l’homme fait de ses connaissances : on entre ici dans le domaine des applications, qui n’est plus celui de la science, mais de la technologie, et ça devient une autre paire de manches !.. Isaac Newton, qui, par sa science découvrit au XVIIème siècle les lois de la gravitation universelle, est à l’origine de la technologie balistique qui a mené l’Homme dans les airs et sur la lune. Mais la même technologie a aussi aggravé effroyablement la puissance destructrice des armements… Alors, la transgénèse ?.. Suite en un prochain numéro… Alain Cavelier
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