Le cri «Nous voulons la
paix!» est trop humain, trop beau, trop naturel pour
une humanité sortie de deux épouvantables
guerres mondiales et menacée par une
troisième guerre exterminatrice pour que les
hommes qui nont pas un coeur de bête fauve ne
le soutiennent et ne sen fassent
lécho...
Il ne sert à rien de faire
appel [à ce titre] à des
idéaux nouveaux, à des transformations
religieuses et sociales. Nos seuls guides sont
lexpérience historique et le raisonnement.
Ce dernier nous met en garde: pour empêcher les
guerres, ne considérons pas comme un moyen
sûr celui qui, même sil existe, ne les
a jusquà présent jamais
empêchées. Une religion plutôt
quune autre nest pas un moyen sûr; en
effet, les religions les plus disparates se sont
accommodées des guerres...
De même que lEtat,
à laide des policiers, des juges et des
gardiens de prison, tient en respect les voleurs et les
assassins, de même il est nécessaire
quune force supérieure à lEtat,
un super-Etat, tienne en respect les Etats
décidés à agresser, violenter et
dépouiller autrui.
Celui qui veut la paix se doit de
vouloir la fédération des Etats, la
création d'un pouvoir supérieur à
celui de chaque Etat souverain. Tout le reste n'est que
bavardage, vain parfois, et il n'est pas rare que cette
attitude ne tende à cacher les intentions de
guerre et de conquête des Etats qui se
déclarent pacifiques. Nous parvenons donc à
la même conclusion que celle à laquelle nous
devons aboutir en ce qui concerne la bombe atomique. II
ne suffit pas de crier: «A bas la bombe atomique,
vive la paix!» pour vouloir sérieusement la
défaite de l'une et le triomphe de l'autre. II est
nécessaire de connaître [...] quelle
est la condition nécessaire - et à elle
seule suffisante - pour que l'une et l'autre
volonté ne demeurent pas des paroles semées
au vent. Une telle condition se nomme force
supérieure à celle des Etats souverains,
elle se nomme fédération d'Etats, elle se
nomme super-Etat. S'il faut qu'il existe un juge des
méfaits, s'il faut saisir l'agresseur par le col
et le contraindre à renoncer à son butin,
il faut qu'existe une force, un Etat supérieur aux
autres qui puisse obtenir l'obéissance de chaque
Etat; et il faudrait même que chaque Etat soit
privé du droit et de la possibilité de
décider seul de la guerre et de la
paix.
Et prenons garde, le super-Etat ne
peut-être une quelconque Société des
Nations ou encore moins une Organisation des Nations
Unies... A quoi sert [en effet] une organisation,
une association qui doit recourir au bon vouloir de
chacun des Etats associés pour remettre à
sa place lEtat malfaiteur qui se montre
récalcitrant envers la volonté
commune?...
Le seul moyen de supprimer les guerres
à lintérieur du territoire de
lEurope est dimiter lexemple de la
constitution américaine de 1788, en
renonçant totalement aux souverainetés
militaires et au droit de représentation à
létranger et à une partie de la
souveraineté financière...
Par conséquent, lorsqu'il
s'agit de faire la distinction entre les amis et les
ennemis de la paix, ne nous arrêtons pas aux
professions de foi d'autant plus bruyantes qu'elles sont
plus mensongères. Demandons au contraire:
voulez-vous conserver la pleine souveraineté de
l'Etat dans lequel vous vivez ? Si oui, celui-ci est un
ennemi implacable de la paix. Etes-vous au contraire
décidé à apporter votre voix, votre
appui, seulement à ceux qui promettent de mettre
en uvre le transfert d'une partie de la
souveraineté nationale à un nouvel organe
appelé Etats-Unis d'Europe ? Si la réponse
est affirmative, et si les paroles sont suivies d'effet,
vous pourrez, mais alors seulement, vous
considérer comme partisan de la paix. Tout le
reste n'est que mensonge.