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par Dennis Meadows |
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Dès le premier sommet de la Terre de 1972, le chercheur américain Dennis Meadows partait en guerre contre la croissance. A la veille de la conférence «Rio + 20», il dénonce les visions à court terme et dresse un bilan alarmiste. Le sommet de la Terre démarre mercredi à Rio. Vous qui avez connu la première conférence, celle de Stockholm, en 1972, que vous inspire cette rencontre, quarante ans plus tard ? Comme environnementaliste, je trouve stupide lidée même que des dizaines de milliers de personnes sautent dans un avion pour rejoindre la capitale brésilienne, histoire de discuter de soutenabilité. Cest complètement fou. Dépenser largent que ça coûte à financer des politiques publiques en faveur de la biodiversité, de lenvironnement, du climat serait plus efficace. Il faut que les gens comprennent que Rio + 20 ne produira aucun changement significatif dans les politiques gouvernementales, cest même linverse. Regardez les grandes conférences onusiennes sur le climat, chaque délégation sévertue à éviter un accord qui leur poserait plus de problèmes que rien du tout. La Chine veille à ce que personne nimpose de limites démissions de CO2, les Etats-Unis viennent discréditer lidée même quil y a un changement climatique. Avant, les populations exerçaient une espèce de pression pour que des mesures significatives sortent de ces réunions. Depuis Copenhague, et léchec cuisant de ce sommet, tout le monde a compris quil ny a plus de pression. Chaque pays est daccord pour signer en faveur de la paix, de la fraternité entre les peuples, du développement durable, mais ça ne veut rien dire. Les pays riches promettent toujours beaucoup dargent et nen versent jamais. Vous ny croyez plus ? Tant quon ne cherche pas à résoudre linéquation entre la recherche perpétuelle de croissance économique et la limitation des ressources naturelles, je ne vois pas à quoi ça sert. A la première conférence, en 1972, mon livre les Limites à la croissance (dont une nouvelle version enrichie a été publiée en mai) avait eu une grande influence sur les discussions. Jétais jeune, naïf, je me disais que si nos dirigeants se réunissaient pour dire quils allaient résoudre les problèmes, ils allaient le faire. Aujourdhui, je ny crois plus ! Lun des thèmes centraux de la conférence concerne léconomie verte. Croyez-vous que ce soit une voie à suivre ? Il ne faut pas se leurrer : quand quelquun se préoccupe déconomie verte, il est plutôt intéressé par léconomie et moins par le vert. Tout comme les termes soutenabilité et développement durable, le terme déconomie verte na pas vraiment de sens. Je suis sûr que la plupart de ceux qui utilisent cette expression sont très peu concernés par les problèmes globaux. La plupart du temps, lexpression est utilisée pour justifier une action qui aurait de toute façon été mise en place, quelles que soient les raisons. Vous semblez penser que lhumanité na plus de chance de sen sortir ? Avons-nous un moyen de maintenir le mode de vie des pays riches ? Non. Dans à peine trente ans, la plupart de nos actes quotidiens feront partie de la mémoire collective, on se dira : «Je me souviens, avant, il suffisait de sauter dans une voiture pour se rendre où on voulait», ou «je me souviens, avant, on prenait lavion comme ça». Pour les plus riches, cela durera un peu plus longtemps, mais pour lensemble des populations, cest terminé. On me parle souvent de limage dune voiture folle qui foncerait dans un mur. Du coup, les gens se demandent si nous allons appuyer sur la pédale de frein à temps. Pour moi, nous sommes à bord dune voiture qui sest déjà jetée de la falaise et je pense que, dans une telle situation, les freins sont inutiles. Le déclin est inévitable. En 1972, à la limite, nous aurions pu changer de trajectoire. A cette époque, lempreinte écologique de lhumanité était encore soutenable. Ce concept mesure la quantité de biosphère nécessaire à la production des ressources naturelles renouvelables et à labsorption des pollutions correspondant aux activités humaines. En 1972, donc, nous utilisions 85% des capacités de la biosphère. Aujourdhui, nous en utilisons 150% et ce rythme accélère. Je ne sais pas exactement ce que signifie le développement durable, mais quand on en est là, il est certain quil faut ralentir. Cest la loi fondamentale de la physique qui lexige : plus on utilise de ressources, moins il y en a. Donc, il faut en vouloir moins. La démographie ne sera pas abordée à Rio + 20. Or, pour vous, cest un sujet majeur La première chose à dire, cest que les problèmes écologiques ne proviennent pas des humains en tant que tels, mais de leurs modes de vie. On me demande souvent : ne pensez-vous pas que les choses ont changé depuis quarante ans, que lon comprend mieux les problèmes ? Je réponds que le jour où lon discutera sérieusement de la démographie, alors là, il y aura eu du changement. Jusquici, je ne vois rien, je dirais même que cest pire quavant. Dans les années 70, les Nations unies organisaient des conférences sur ce thème, aujourdhui, il ny a plus rien. Pourquoi ? Je ne comprends pas vraiment pourquoi. Aux Etats-Unis, on ne discute plus de lavortement comme dune question médicale ou sociale, cest exclusivement politique et religieux. Personne ne gagnera politiquement à ouvrir le chantier de la démographie. Du coup, personne nen parle. Or, cest un sujet de très long terme, qui mérite dêtre anticipé. Au Japon, après Fukushima, ils ont fermé toutes les centrales nucléaires. Ils ne lavaient pas planifié, cela a donc causé toutes sortes de problèmes. Ils ont les plus grandes difficultés à payer leurs importations de pétrole et de gaz. Cest possible de se passer de nucléaire, mais il faut le planifier sur vingt ans. Cest la même chose avec la population. Si soudainement vous réduisez les taux de natalité, vous avez des problèmes : la main-duvre diminue, il devient très coûteux de gérer les personnes âgées, etc. A Singapour, on discute en ce moment même de loptimum démographique. Aujourdhui, leur ratio de dépendance est de 1,7, ce qui signifie que pour chaque actif, il y a 1,7 inactif (enfants et personnes âgées compris). Sils stoppent la croissance de la population, après la transition démographique, il y aura un actif pour sept inactifs. Vous comprenez bien quil est impossible de faire fonctionner correctement un système social dans ces conditions. Vous courez à la faillite. Cela signifie quil faut transformer ce système, planifier autrement en prenant en compte tous ces éléments. La planification existe déjà, mais elle ne fonctionne pas. Nous avons besoin de politiques qui coûteraient sur des décennies mais qui rapporteraient sur des siècles. Le problème de la crise actuelle, qui touche tous les domaines, cest que les gouvernements changent les choses petit bout par petit bout. Par exemple, sur la crise de leuro, les rustines inventées par les Etats tiennent un ou deux mois au plus. Chaque fois, on ne résout pas le problème, on fait redescendre la pression, momentanément, on retarde seulement leffondrement. Depuis quarante ans, quavez-vous raté ? Nous avons sous-estimé limpact de la technologie sur les rendements agricoles, par exemple. Nous avons aussi sous-estimé la croissance de la population. Nous navions pas imaginé lampleur des bouleversements climatiques, la dépendance énergétique. En 1972, nous avions élaboré treize scénarios, jen retiendrais deux : celui de leffondrement et celui de léquilibre. Quarante ans plus tard, cest indéniablement le scénario de leffondrement qui lemporte ! Les données nous le montrent, ce nest pas une vue de lesprit. Le point-clé est de savoir ce qui va se passer après les pics. Je pensais aussi honnêtement que nous avions réussi à alerter les dirigeants et les gens, en général, et que nous pouvions éviter leffondrement. Jai compris que les changements ne devaient pas être simplement technologiques mais aussi sociaux et culturels. Or, le cerveau humain nest pas programmé pour appréhender les problèmes de long terme. Cest normal : Homo Sapiens a appris à fuir devant le danger, pas à imaginer les dangers à venir. Notre vision à court terme est en train de se fracasser contre la réalité physique des limites de la planète. Navez-vous pas limpression de vous répéter ? Les idées principales sont effectivement les mêmes depuis 1972. Mais je vais vous expliquer ma philosophie : je nai pas denfants, jai 70 ans, jai eu une super vie, jespère en profiter encore dix ans. Les civilisations naissent, puis elles seffondrent, cest ainsi. Cette civilisation matérielle va disparaître, mais notre espèce survivra, dans dautres conditions. Moi, je transmets ce que je sais, si les gens veulent changer cest bien, sils ne veulent pas, je men fiche. Janalyse des systèmes, donc je pense le long terme. Il y a deux façons dêtre heureux : avoir plus ou vouloir moins. Comme je trouve quil est indécent davoir plus, je choisis de vouloir moins. Partout dans les pays riches, les dirigeants promettent un retour de la croissance, y croyez-vous ? Cest fini, la croissance économique va fatalement sarrêter, elle sest déjà arrêtée dailleurs. Tant que nous poursuivons un objectif de croissance économique «perpétuelle», nous pouvons être aussi optimistes que nous le voulons sur le stock initial de ressources et la vitesse du progrès technique, le système finira par seffondrer sur lui-même au cours du XXIe siècle. Par effondrement, il faut entendre une chute combinée et rapide de la population, des ressources, et de la production alimentaire et industrielle par tête. Nous sommes dans une période de stagnation et nous ne reviendrons jamais aux heures de gloire de la croissance. En Grèce, lors des dernières élections, je ne crois pas que les gens croyaient aux promesses de lopposition, ils voulaient plutôt signifier leur désir de changement. Idem chez vous pour la présidentielle. Aux Etats-Unis, après Bush, les démocrates ont gagné puis perdu deux ans plus tard. Le système ne fonctionne plus, les gens sont malheureux, ils votent contre, ils ne savent pas quoi faire dautre. Ou alors, ils occupent Wall Street, ils sortent dans la rue, mais cest encore insuffisant pour changer fondamentalement les choses. Quel système économique fonctionnerait daprès vous ? Le système reste un outil, il nest pas un objectif en soi. Nous avons bâti un système économique qui correspond à des idées. La vraie question est de savoir comment nous allons changer didées. Pour des pans entiers de notre vie sociale, on sen remet au système économique. Vous voulez être heureuse ? Achetez quelque chose ! Vous êtes trop grosse ? Achetez quelque chose pour mincir ! Vos parents sont trop vieux pour soccuper deux ? Achetez-leur les services de quelquun qui se chargera deux ! Nous devons comprendre que beaucoup de choses importantes de la vie ne sachètent pas. De même, lenvironnement a de la valeur en tant que tel, pas seulement pour ce quil a à nous offrir. Propos recueillis par Laure Noualhat |
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