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Cest en décembre 1948 que paraissait le numéro 1 de La Patrie Mondiale. Son rédacteur en chef était Pierre Bergé avec à ses côtés dans le comité de rédaction, André Breton, Albert Camus, Maurice Rostand, Robert Jospin, Garry Davis Nest-ce pas pas Edouard Herriot qui écrit quelque part : « Jamais on ne me pardonnera davoir été à la fois, un homme de lettre et un homme politique, car jamais on ne comprendra quel fut mon violon dIngres ! Ces deux situations, cette double action, cest un peu ce qui se passe, toute proportion gardée, pour la plupart dentre nous. Nous ne faisons pas métier de pacifisme ! On ne décrète pas, un beau matin, entre quinze et vingt ans, je serai pacifiste comme on serait dentiste, notaire ou architecte. Le pacifisme provient dun état de choses qui oblige les hommes à réagir. Le pacifisme est et doit être uniquement une réaction. Nous avons tous, ou à peu près, des occupations littéraires, scientifiques ou artistiques que nous avons abandonnées, en partie, pour nous consacrer à cette grande question quest la PAIX. Nous avons abandonné ces activités particulières parce que nous savons très bien que si demain la guerre éclatait, cen serait fini et de la littérature et de la science et de lart. Nous avons abandonné ces activités particulières parce que nous savons très bien quainsi nous les conserverons, peut-être, plus longtemps. Il est encore, hélas, des sourires supérieurs qui tombent du haut de certains fauteuils académiques : « Comment soccuper de questions sociales ? Lesprit nest-il pas là qui supplée à tout le reste ? ». La guerre nest-elle pas là qui supprime tous les esprits ? Les esprits et les fauteuils ? Il faut que chacun comprenne bien quaujourdhui lheure est exceptionnellement grave. Cest peut-être la dernière fois que nous avons loccasion de jouer notre carte. Demain il sera trop tard. Demain ce sera fini. Fini de nos libertés qui sankylosent depuis dix ans ! Fini de nos espoirs qui palissent chaque jour davantage ! Cest maintenant quil faut agir. A chaque heure, chaque minute, chaque seconde. Cest maintenant quil faut nous grouper, car si nous ne sommes pas, aujourdhui, solidaires dans la vie, nous serons, demain, solidaires dans la mort. Nous unir, nous grouper, nous rassembler, tels doivent être nos soucis et nos préoccupations. Un rassemblement contre la guerre doit se créer dans le but dallier toutes les consciences libres, tous les hommes de bonne volonté contre un ennemi commun. Il ne sagit pas là didéologies politiques ou philosophiques. Il sagit de Vie. De Vie ou de Mort ! Cest après de subtils calculs que nous avons pu sortir ce journal. Ce nest quun premier numéro, bien imparfait sans doute, et pourtant nous en sommes fiers, car nous avons limpression davoir posé la première pierre du mur qui doit sélever entre la Guerre et lHumanité. Ce numéro est un numéro de lancement, et bientôt cest un hebdomadaire que nous voulons vous présenter. Je sais tout ce que ce projet peut avoir dambitieux et de difficile. Je le sais et pourtant cest dun coeur ferme que jaffronte lavenir, car je sais aussi que la Patrie Mondiale et ce Rassemblement Contre la Guerre peuvent désormais compter sur vous. Pierre Bergé
Albert Camus auquel on a reproché laction quil a menée aux cotés de Garry Davis, répond aux questions qui lui ont été posées. Il y répond, clairement, nettement, sans aucun ménagement. Q. Que faites-vous là ? R. Ce que nous pouvons. Q. A quoi cela sert-il ? R. A quoi sert lO.N.U ? Q. Pourquoi Davis na va-t-il pas parler en Russie Soviétique ? R. Parce que lon ne ly laisse pas entrer. En attendant, il le dit au délégué soviétique comme aux autres. Q. Pourquoi Davis ne va-t-il pas parler aux U.S.A. ? R. Soyons logiques. Vous dites tous les jours que lO.N.U. est une colonie américaine. Q. Pourquoi nabandonnez-vous pas la nationalité française ? R. Cest une bonne objection. un peu perfide, ce qui est naturel puisquelle nous vient de nos amis. Voici ma réponse: Davis a abandonné de très nombreux privilèges en abandonnant la nationalité américaine. Or, être français suppose, aujourdhui, plus de charges que de privilèges. Il est bien difficile, si on a de lexigence, de renoncer à son pays quand il est dans le malheur. Q. Le geste de Davis ne vous parait-il pas spectaculaire, partant suspect ? R. Ce nest pas de sa faute si la
simple évidence est aujourdhui spectaculaire.
Toute proportion gardée, Socrate aussi donnait des
spectacles permanents sur la place des marchés.
Et on nest pas arrivé à lui prouver
quil avait tort, sinon en le condamnant à
mort. Q. Ne voyez-vous pas que Davis sert limpérialisme américain ? R. Davis, en abandonnant la nationalité américaine, se désolidarise de cet impérialisme là comme des autres. Cela lui donne le droit de condamner cet impérialisme, droit quil me parait difficile daccorder à ceux qui veulent limiter toutes les souverainetés, sauf la soviétique. Q. Ne voyez-vous pas que Davis sert limpérialisme soviétique ? R. Même réponse que la précédente en inversant, jajoute ceci : les impérialismes sont comme les jumeaux, ils grandissent ensemble et ne peuvent se passer lun de lautre. Q. Les souverainetés sont des réalités, ne voyez-vous pas quil faut tenir compte des réalités ? R. Le cancer aussi est une réalité. On cherche pourtant à le guérir et personne na eu encore le front de dire que pour guérir un cancer qui sest greffé sur un tempérament trop sanguin, Il faille manger de plus en plus de beefsteacks. Il est vrai que les médecins ne se sont jamais pris pour des chefs déglise qui détiennent toute la vérité. Cest leur avantage sur nos hommes politiques. Q. Cela empêche-t-il que dans les circonstances historiques actuelles que la limitation des souverainetés soit une utopie ? (Objection présentée par le Rassemblement, article non signé). R. Cest le Général de Gaulle qui va répondre au Rassemblement. Il a dit en effet, à propos de la Rhur, quon nétait pas obligé davoir une bonne solution en main pour discerner et refuser une mauvaise solution. Par ailleurs, Davis propose une solution et cest vous qui la déclarez utopique. Vous nous faites penser à ces chefs de famille qui, au nom des réalités justement, mettent en garde leur rejeton contre lesprit daventure. Finalement, il arrive que le rejeton honora la famille dans la mesure où il a désobéi à son père et quitté lépicerie natale. Lhistoire ainsi nest jamais quune utopie qui prend chair. Q. Ne voyez-vous pas que les U.S.A. sont le seul obstacle à létablissement du socialisme dans le monde ? (Cette question se trouve formulée parfois dune autre manière : Ne voyez-vous pas que lU.R.S.S. est le seul obstacle à la liberté du monde ?). R. Si vous avez la guerre que vous prévoyez avec une obstination digne dun meilleur emploi, la somme des destructions et des souffrances qui sabattront sur le monde, et dont la deuxième guerre mondiale ne donne quune faible idée, rendra tout avenir historique imprévisible. Je ne donnerai pas cher ni de la liberté ni du socialisme dans une Europe couverte de ruines et où les hommes nauront même plus la force de crier leur douleur. Q. Cela veut-il dire que vous choisirez la capitulation plutôt que la guerre ? R. Je sais que certains dentre vous donnent volontiers à choisir entre la pendaison ou la fusillade. Cest lidée quils se font de la liberté humaine. Nous, nous faisons ce que nous pouvons pour que ce choix ne devienne pas inévitable. Vous, vous faites ce quil faut pour que ce choix devienne inévitable. Q. Mais sil est inévitable, que ferez-vous ? R. Si vous arrivez, ce que je ne crois pas, à rendre cela inévitable, nous naurons pas dautre choix que lagonie du monde. Le reste, cest du Journalisme, et du pire. Jai terminé et je poserai pour finir, une question à nos contradicteurs. Cest bien mon tour. Sont-ils sûrs dans le fond de leur cur, que la conviction politique ou la doctrine qui les anime est assez infaillible pour quils rejettent sans y réfléchir les avertissements de ceux qui leur rappellent le malheur de millions de créatures, le cri de linnocence, le bonheur le plus simple, et qui leur demandent de mettre ces pauvres vérités en balance avec leurs espérances même légitimes. Sont-ils sûrs davoir suffisamment raison pour risquer ne fut-ce quune chance sur mille de rapprocher encore le danger de la guerre atomique. Oui, sont-ils si sûrs deux-mêmes, et si prodigieusement infaillibles quil leur faille passer sur tout, cest une question que nous leur posons, qui leur a déjà été posée et dont nous attendons toujours quils y répondent. Albert CAMUS
Le fac-similé de La Patrie Mondiale N°1 est disponible auprès de Citoyens du Monde. Pour nous écrire : prendrecontact@citoyensdumonde.net |
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