(29,2) Hiver
1990
AGROSYLVICULTURE UN NOM NOUVEAU - UNE PRATIQUE ANCIENNE Les Indiens de la forêt amazonienne ont depuis longtemps compris que, pour y vivre, se battre contre elle, mais avec elle.
C'est ainsi qu'ils ont créé un modèle de développement axé non sur la destruction du milieu naturel et sa substitution par des cultures, mais qui tire au contraire le meilleur profit possible de la diversité des espèces qui existent en milieu tropical humide. Ils ne sont pas les seuls à mettre ce modèle en œuvre : toutes les populations qui pratiquent une agriculture traditionnelle en font autant, avec plus ou moins d'intensité selon leur environnement. Ceci est le résultat d'un besoin d'autosuffisance e d'indépendance.
" Agrosylviculture " est donc un mot nouveau qui désigne une pratique ancienne. Le terme anglo-saxon que l'on rencontre souvent dans la littérature est " Agroforestery ".
Notre équipe de travail, à l'INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHES D'AMAZONIE (I.N.PA.), MANAUS AM, BRESIL, a proposé après une large recherche bibliographique, la définition suivante :
" L'Agrosylviculture est la gestion des terres, viable à long terme, qui intéresse simultanément ou séquentiellement arbres, animaux et/ou cultures agricoles, de façon à obtenir un gain de productivité. Cette gestion doit être en équilibre avec le milieu et être acceptée par les agents sociaux du processus de production, en particulier ceux qui vivent en région de frontière agricole, produisant en condition de bas niveau technologique. "
Cette définition présente la particularité de tenir compte de l'élément humain dans le système agrosylyicultural.
Actuellement un certain nombre d'organismes nationaux et internationaux, ainsi que nous-mêmes, au FONDS MONDIAL, nous intéressons à ce système.
Il existe deux types d'approches, du problème :
Le grand intérêt des diverses formes du système agrosylvicultural, outre leur stabilité écologique, est qu'elles permettent à l'agriculteur de diversifier ses sources d'alimentation et de revenu, améliorant non seulement la santé physique de sa communauté, mais aussi sa santé économique. Il est très improbable qu'une maladie ou un insecte s'attaque à tous les éléments du système et donc, bon an mal an il y a toujours une production, qui, si elle n'est pas abondante chaque année, existe et est variée.
Il existe plusieurs types de systèmes agrosylviculturaux, avec des noms qui varient selon les régions. Nous en décrirons ci-après quelques-uns avec leurs avantages et leurs inconvénients, et vous verrez comme chacun d'entre vous y reconnaîtra des choses connues.
L'AGRICULTURE MIGRATOIRE ITINERANTE
Elle est de type séquentiel et intègre des cultures agricoles, des arbres et des animaux. Elle suppose initialement le déboisement et le brûlis, puis la mise en place de cultures annuelles et semi-annuelles, la pâture d'animaux (restes de cultures, mauvaises herbes, pâturages installés à l'ombre des cultures), le tout suivi par une période de repos. Il peut s'y ajouter la plantation, pendant la période de culture, d'arbres fruitiers ou d'espèces à exploitation extractiviste (hévéa, châtaigne du Para, etc...) pour une cueillette postérieure, pendant la période de repos du sol. C'est surtout une agriculture de subsistance. Elle est peu exigeante en main d'œuvre et en investissement de capital et e elle est écologiquement adaptée. " L'agriculture migratoire itinérante trouve sa limite en cas d'augmentation excessive de la population humaine " car cela à pour conséquence une diminution du temps de repos et donc de la fertilité du sol. Cette forme d'agrosylviculture est adaptée aux grandes surfaces de territoire colonisées par de petites populations.
TAUNGYA
Ce système agrosulvicultural est aussi de type séquentiel. Il intègre cultures agricoles et arbres (sylviculture et/ou arbres fruitiers). Arès le déboisement et le nettoyage du terrain, des cultures 'annuelles et semi-annuelles sont mises en place pour faire de l'ombre aux jeunes plants d'espèces forestières ou fruitières d'intérêt commercial. Plus tard suit la gestion des espèces, pérennes. Ce système a pour avantage la diminution des coûts d'implantation des espèces pérennes et la constitution d'un capital avant la mise en production de la culture principale. Si l'exploitant est propriétaire de la plantation, tout se passe bien. S'il ne l'est pas, il a tendance à s'en occuper peu, puisqu'il ne bénéficiera pas lui-même du gain produit par les espèces pérennes.
ASSOCIATIONS FORET - ESPECES PERENNES
Sous le couvert forestier préalablement éclairci , on plante des espèces pérennes.
Comme le cacaoyer, le café, le guarana et l'hévéa. Ce système réduit les coûts d'implantation et maintient un meilleur équilibre écologique à l'intérieur des plantations. Le couvert forestier maintient l'ombrage sur les espèces cultivées, ce qui leur est bénéfique. Cette association exerce en outre une excellente maîtrise de l'érosion. 'Toutefois le microclimat humide ainsi créé peut favoriser certaines maladies.
ASSOCIATION FORET - ESPECES ANNUELLES
Ce sont généralement des forêts plantées, sous lesquelles des cultures annuelles, résistantes à l'ombre, sont installées. Les " cultures en couloirs " sont un cas particulier de ce système. Comme les espèces utilisées dans ce cas sont souvent des légumineuses (qui fixent l'azote de l'air), ce système augmente la fertilité du sol qui est de plus protégé du soleil et de l'érosion. C'est cependant une méthode qui demande une main d'œuvre abondante lors de l'implantation de la forêt et qui entraîne une diminution de la productivité des espèces annuelles.
ASSOCIATION ARBRES - PATURAGES
La composante principale de cette version agrosylviculturale peut être' aussi bien la production arboricole qu'animale. Les arbres peuvent être utilisés pour leur ombre, la production de bois ou celle de fruits. La présence d'animaux peut accélérer le cycle naturel de certains éléments nutritifs, les rendant plus rapidement disponibles aux arbres. Les animaux disséminent aussi les semences des arbres et contrôlent les mauvaises herbes. " Par contre, le surpâturage par des animaux trop nombreux peut compacter le sol ou encore disséminer des espèces nuisibles. Une pâture différentielle modifie la composition des espèce pérennes recherchées. " En outre ils peuvent entrer en concurrence avec l'homme en consommant certains fruits ou en causant des dommages aux arbres. Par ailleurs l'excès d'ombre peut être néfaste à certains types d'herbes de pâture.
HAIES ET BRISE-VENTS
Quelques lignes d'arbres protègent ou séparent des cultures pérennes ou annuelles ou des pâturages ou encore des mélanges de ces divers éléments. Outre la protection qu'elles assurent contre, le vent, l'érosion et la progression des parasites exogènes des cultures, elles peuvent aussi fournir du bois et des engrais verts par élagage et taille régulière, du feuillage. De leur gestion attentive dépend le succès de leur utilisation, car elles peuvent, en cas de négligence, envahir les cultures associées et leur éradication est en général difficile.
SIMULATION DE SUCCESSION NATURELLE et/ou POTAGERS POLYSPECIFIQUES
C est là un exemple de système agrosylvicultural simultané. Dans un terrain défriché sont installés simultanément plusieurs types de cultures (annuelles, semi-annuelles, pérenne, forestières et/ou médicinales), le tout sans obéir à une organisation particulière mais basé sur une connaissance empirique des besoins des différentes espèces Ce système garantit une production variée toute l'année, demande peu de main d'œuvre pour les besoins culturaux, peu d'entrants et peu de capital. Il est très proche des systèmes naturels et il résiste aux fluctuations des marchés tout en subvenant aux besoins les plus divers du producteur. Cependant il est bien rare " que ces jardins " produisent un excédent pour la commercialisation.
FERMES AUTOSUFFISANTES
Elles peuvent être considérées par extension comme des systèmes agrosylviculturaux, puisqu'elles ont besoin de tous les éléments qui composent ces derniers pour former un cycle d'autosuffisance. Elles cumulent tous les avantages et les inconvénients des systèmes précédents, mais elles offrent un avantage supplémentaire qui est de réduire au maximum les besoins en produits d'origine extérieure à elles.
Tous les systèmes décrits dans cet article peuvent se combiner et former des unités adaptées au milieu où elles se trouvent ainsi qu'aux caractéristiques culturelles et aux besoins des populations qui les pratiquent. " Ils nous paraissent ouvrir un chemin très intéressant vers la combinaison de l'autosuffisance et de la conservation (et même la reconstitution) de la qualité du milieu
Muriel Saragoussi
page réalisée par Daniel Durand