- Index
(43,2) Janvier 1994
Le 27 Novembre dernier, le "Comité Permanent Mon-dialiste" tenait une réunion publique à Paris, au Sénat, pour traiter le thème controversé :
Les nombreux orateurs, tous qualifiés pour en parler, se sont en général montrés favorables à la nouvelle dynamique de l'ingérence. Pourtant Jean-Pierre CABOUAT, de la Croix-Rouge, a estimé qu'on heurtait inopportunément la susceptibilité des Etats concernés ; et l'ancien secrétaire Général de l'ONU : J.PEREZ DE CUELLAR, a veillé, dans son message à l'assemblée, à doser "prudence et audace".
En effet, l'ingérence est une affaire périlleuse à maints égards, et ses meilleurs partisans n'en voilent pas les difficultés; Telle aurait été sans doute la position de Bernard KOUCHNER s'il n'avait dû partir brusquement pour Sarajevo. Il avait demandé à Dominique MOISY de le remplacer ; ce fut pour montrer que le droit international devait être ajusté et surtout pour tenter d'énoncer les principales conditions de réussite des opérations humanitaires. Le professeur de droit international : Mario BETTATI, qui a eu la responsabilité, auprès de Monsieur KOUCHNER, de forger nombre de textes présentés par la France à l'ONU, et Michel BONNOT qui parlait pour "MEDECINS DU MONDE", ont été particulièrement convaincants, parce que transmettant à la salle la tension et les émotions de leur lutte ardente.
D'emblée, Mario BETTATI a averti qu'il ne fallait pas chercher des desseins politiques dans l'ingérence : elle est apparue là où il n'y avait plus d'autres ressources pour sauver des vies humaines. A défaut d'autorisations, les sauveteurs ont pris le risque de franchir les frontières. Les "French doctors" ont pourtant demandé que le droit rende possible partout l'action humanitaire sans que celle-ci soit contrainte à la clandestinité. Cela supposait d'obtenir des Nations Unies qu'elles fassent évoluer substantiellement la notion de souveraineté nationale, qu'elles en effacent le caractère absolu. Mario BETTATI rappelle l'action permanente à mener pour vaincre auprès des gouvernants et diplomates, jusque dans les couloirs de l'ONU, les craintes et les méfiances. Des progrès ont été faits, des résultats obtenus, qu'il faut exploiter.
Michel BONNOT renouvelle que depuis la guerre d'Afghanistan, des centaines et des centaines de médecins attendraient toujours aux frontières s'ils n'avaient pas décidé de les franchir illégalement. En tant que Président du "Droit de parole", Michel BONNOT évoque une autre forme d'ingérence nécessaire : apporter à des populations assiégées (cas de celles de Bosnie) les informations auxquelles elles ont droit, quoi qu'il en soit des modalités d'un embargo international ou de l'opposition d'un pays dans lequel, dès 1986, les médias ont incité à la haine et dressé les gens les uns contre les autres.
Plusieurs autres orateurs avaient auparavant excellemment expliqué le bien-fondé d'une ingérence impérieuse en matière humanitaire, mais trop mal-aimée pour qu'on ne cherche pas à la fonder sur des rapports internationaux plus sains. En effet, beaucoup reste à faire pour que les pays du Sud cessent de penser que les Etats faibles sont seuls à s'exposer au risque d'ingérence, tandis que les grandes puissances, et tout spécialement les Etats Unis, assurent la police en restant à l'abri de toute sanction, quoi qu'elles fassent. Ce désir d'équité ne doit pas être confondu avec de l'anti-occidentalisme ou de l'anti-américanisme. Aujourd'hui, le principe d'obligation doit s'appliquer à tous, sous peine de n'être supporté par personne.
Le meilleur test à cet égard portera sans doute sur la protection de l'environnement. Deux conférenciers ont d'ailleurs examiné les rapports possibles de l'ingérence et de l'environnement.
Avant que le Président du Comité Permanent Mondialiste Robert MALLET, dégage une synthèse des débats, la salle a été mise en communication téléphonique avec l'Abbé PIERRE, le Citoyen du Monde et le fédéraliste de toujours, qui a appelé à une solidarité active avec les pauvres du monde entier. Le recteur MALLET, lui, a donné le reflet du plus grand nombre possible de propositions. Il a constaté la considérable poussée des interdépendances au cours des dernières années et l'accès, malgré les obstacles, à une meilleure connaissance des faits internationaux au sein des populations. Les volontés d'intervenir internationalement devront alors pouvoir s'exprimer autrement qu'au travers de l'ingérence. Il faut faire place à la notion d'action internationale nécessaire. Pour parvenir à ce stade, il faudra que les Nations Unies révisent le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, qu'il soit clair que ce droit retire aux Etats celui de massacrer leurs ressortissants. Tous les efforts doivent être déployés en ce sens pour trouver des consensus, mais rien ne nous autoriserait à accepter le mépris des vies humaines et de l'avenir de l'Humanité, au nom d'une prétendue tolérance.
Jean Prédine
|