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(56,2) Juin1997
Trois guerres en une seule : Une guerre BanyaMulenge - la revanche Tutsie - Les Zaïrois contre Mobutu -
Les réfugiés ruandais - Le Canada ? - Les Etats-Unis - L'Europe - L'avenirLe point de vue exprimé ici est une analyse dont l'auteur assume la responsabilité. Il ne représente pas nécessairement le point de vue des autres membres du Comité de Rédaction de Monda Solidareco ni du Conseil d'Administration du Fonds Mondial, ni même celui des membres. Ce point de vue est volontairement partiel, c'est-à-dire qu'il se limite à ce qui est sensible sur le terrain et ne considère pas les grandes stratégies géopoliticiennes.
En raison des circonstances locales, mais aussi considérant que les informations ci-après pourraient nuire à la sécurité de certaines personnes, le Conseil d'Administration a décidé que ce numéro 56 ne serait pas adressé à nos membres dans ce pays.
Enfin, nous parlons ici du Zaïre parce que le Fonds Mondial y a financé plusieurs projets, mais il est évident que notre préoccupation est tout aussi grande relativement aux évènements qui touchent le Congo-Brazzaville voisin, la République Centrafricaine, le Soudan ou l'Algérie.
1. Une guerre BanyaMulenge
Les Tutsis sont des éleveurs, de tradition guerrière. Les BanyaMulenge sont une population Tutsie habitant dans les collines de Mulenge (région du Zaïre à l'Ouest de la zone de Fizi) depuis au moins les années 20. Ici, comme ailleurs en Afrique, il y a toujours eu des problèmes de voisinage entre les éleveurs (Tutsis) et les agriculteurs (Babembe, Bavira et Bafulero).
La constitution de la 2ème République (1965) avait donné la nationalité zaïroise à tous les habitants du Congo belge au moment de la décolonisation. A cause des problèmes de cohabitation et aussi du fait que les BanyaMulenge se sont toujours montrés solidaires de leurs cousins du Ruanda et du Burundi, leur prêtant main-forte à de nombreuses occasions... le Président Mobutu les prive de la nationalité Zaïroise il y a une dizaine d'années. Les pressions des Zaïrois sur les BanyaMulenge se sont accentuées à partir de 1990. Le vice-président du "Haut Conseil de la République-Parlement de Transition" (HCR-PT), relayé sur place par le chef de zone de Fizi ont tenu des discours tels que des assassinats ont été commis en 1995 et 96 contre les BanyaMulenge. Ces derniers ont donc décidé de manifester pour faire valoir leurs droits. De par leur tradition cette manifestation ne pouvait être que militaire. La guerre allait être déclarée.
2. Deuxième guerre : la revanche Tutsie :
Les Tutsis sont un peuple de Seigneurs, de maîtres, la "caste supérieure" de la région des Grands Lacs. Leur mémoire collective leur interdit de se soumettre. Hors ces 15 dernières années, ils ont vécu dans la soumission à la "caste" majoritaire en nombre : les Hutus. Beaucoup de Tutsis ont préféré se réfugier dans les pays voisins : Ouganda, Tanzanie et Zaïre.
Peu à peu les Tutsis reprennent le pouvoir d'abord en Ouganda où les réfugiés Tutsis peuvent recevoir un entraînement à la guerre moderne. Puis c'est la déstabilisation du Ruanda et du Burundi par l'assassinat des Présidents hutus de ces deux pays. Il s'en suivra un "génocide" organisé par le pouvoir hutu contre la population tutsie. L'avancée des troupes tutsies d'un côté et l'opération française "Turquoise" de l'autre bloquent les évènements quelques temps. Mais ce n'est que partie remise. Les Hutus se réfugient d'abord dans la zone "Turquoise", puis à la fin de cette opération Turquoise, ils passent la frontière zaïroise : ils sont alors 1.450.000 Hutus dans le Kivu, masse composée de milices "génocidaires", et de simples Hutus apeurés, pris en otages.
Le Haut Commissariat aux Réfugiés donnera des toiles de tentes et de la nourriture à tous... y compris aux gens en armes ! Force et faiblesse du système onusien. Les camps de réfugiés Hutus deviennent des camps d'entraînement en vue de la reconquête du Ruanda... Une menace similaire pèse sur l'Ouganda et le Burundi.
Les gouvernements tutsis de ces trois pays passent alors un accord avec les BanyaMulenge en révolte contre l'Etat zaïrois : une fourniture d'armes et un entraînement militaire en contrepartie d'un grand nettoyage de la plaine de la Ruzizi et des plateaux du Nord-Kivu, occupés depuis 1994 par les réfugiés Hutus.
Officiellement on va "libérer" le Kivu (des réfugiés Hutus) et peut-être même le Zaïre (de la dictature).
3. Troisième guerre : Les Zaïrois contre Mobutu.
Trois décennies de mobutisme, ça suffit ! Lorsqu'en 1990 le Président Mobutu a bloqué les travaux de la Conférence Nationale Souveraine, une partie de l'opposition a annoncé que la lutte armée était la seule alternative à la crise politique.
Libérer le Kivu et le Zaïre, oui, mais pour être crédible, il fallait que ce soit fait par des Zaïrois. Voilà qu'arrive du Shaba Laurent-Désiré KABILA. Qui est allé chercher ce vieil opposant de Mobutu ? On ne le sait pas encore. Comme tout Zaïrois il connaît parfaitement le conflit Tutsis-Hutus, mais refuse de se mêler de cette affaire. Il n'est ni Hutu, ni Tutsi, ni même Kivutien. Neutre, il représente une certaine garantie pour l'unité future du Zaïre. Après les succès de Bukavu et de Goma, des jeunes Kivutiens s'engagent derrière lui, mais aussi un certain nombre d'ex-militaires des Forces Armées Zaïroises (FAZ). L'armée de Kabila se "zaïrianise", mais l'encadrement demeure Tutsi, toutes nationalités confondues.
La suite est bien connue : toutes les villes tombent l'une après l'autre : Kisangani, Lubumbashi, Likasi, Kolwezi, Mbuji Mayi, Mbandaka et Kinshasa.
Nous l'annoncions dans le bulletin n° 55. Par vagues successives et par diverses opérations humanitaires, la moitié environ a pu rentrer au Ruanda. Pour l'essentiel, il s'est agi d'une manoeuvre Tutsie pour empêcher l'intervention internationale décidée par l'ONU le 15 novembre 1996.
Les autres, c'est-à-dire les milices Hutues, les intellectuels et tous ceux qui servaient d'otages aux milices ont été repoussés dans la forêt. Quelques uns ont réussi à la traverser entièrement jusqu'au Congo (Brazza). Quelques autres ont pu être récupérés par les missions humanitaires et renvoyés par camions, trains et avions vers le Ruanda. Mais l'immense majorité est piégée dans cette forêt où les attendent la mort de faim ou de maladies ou l'extermination systématique : il n'y aura plus de milices hutues ; il n'y aura pas non plus de témoins ; et plus tard, les éventuelles enquêtes de l'ONU ne pourront presque rien prouver, car on brûle les corps.
Mais même ceux qui sont rentrés ne sont pas pour autant tirés d'affaire : des camions du Ruanda passent la nuit la frontière près de Goma pour décharger au Zaïre des monceaux de cadavres.
L'émissaire spécial qui devait orienter la force internationale de l'ONU a survolé la forêt en novembre. De son avion, il n'a rien vu qui ressemble à 600.000 réfugiés. A chacun de conclure ! Il faut dire que toutes les radios internationales avaient naïvement annoncé ce vol de reconnaissance...
Absents, malgré la résolution de l'ONU du 15 novembre. Beaucoup attendaient l'appui américain pour l'ouverture d'un "couloir humanitaire" qui aurait permis de sauver des dizaines de milliers de réfugiés.
Absents du terrain jusqu'au 15 mars 1997, date de la prise de Kisangani par les troupes de Kabila. Depuis cet évènement déterminant, les conseillers militaires américains circulent ouvertement dans les zones "libérées".
Absente également malgré les appels pressants de Mme Emma Bonino en faveur des réfugiés, et malgré le timide engagement "conditionnel" de la France et de l'Espagne.
Les heures sombres ne sont pas toutes passées. Elles sont même de cruelle actualité pour les Hutus.
Le nouveau Président KABILA a été porté par une armée qui n'est pas la sienne, et pour des objectifs qui ne sont pas les siens. Il pourra bénéficier de l'encadrement Tutsi... tant que le "nettoyage" ne sera pas terminé dans la forêt.
Les plus optimistes attendent du Président Kabila de nous émerveiller par des qualités d'administrateur et de démocrate qu'on ne lui connaît pas encore. Auront-ils raison ?
Daniel Durand
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