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(57,7) Septembre 1997
Quiconque s’intéresse de près aux conditions de vie de la brousse africaine au sud du Sahara est familier de cette calamité ravageuse que constitue l’incendie périodique de la savane en saison sèche. Calamité ravageuse : la destruction d’une culture de gombos du groupement Mawuena vient désagréablement nous le rappeler ; ils sont malheureusement fréquents les cas où les dégâts ne se limitent pas aux cultures, mais affectent également les forêts limitrophes, les cases d’habitation ou de travail et les biens des personnes. Or il n’a jusqu'à présent jamais été possible, ni avant, ni pendant, ni après la période coloniale d’assurer une prévention efficace contre ce fléau qui procède de rapports sociaux, économiques et culturels complexes.
C’est que les feux de brousse sont rarement «accidentels» ou «naturels». Un feu de brousse, nous l’avons vu de nos propres yeux, est presque toujours allumé de main d’homme. Et, sauf cas très exceptionnel, ce n’est pas pour nuire délibérément que les incendies sont allumés : les feux de brousse ont plusieurs fonctions dont il faut tenir compte pour se faire une idée de la difficulté d’en venir à bout.
La première fonction est une mesure de protection contre les animaux venimeux, insectes et surtout serpents au venin mortel2, dont le biotope est les hautes herbes de la savane souvent attenante aux habitations rurales. Rares sont les paysans qui ont les moyens de vêtir efficacement leurs familles pour circuler dans la savane ou pour protéger leurs habitations des intrusions nocturnes de ces animaux. L’incendie périodique de la végétation contribue à en réduire les populations, en détruisant une partie et en faisant fuir une autre, au moins provisoirement.
Une seconde fonction est la préparation des terres pour leur mise en culture. La savane est constituée d’un peuplement dense de hautes graminées dont la biomasse aérienne et le système radical, extrêmement robustes, excluent tout défrichage avec les faibles moyens disponibles, à savoir la machette, la daba(NB) et l’«huile de coude». Le brûlage constitue donc en quelque sorte le moyen de défrichage du pauvre et, bien que la fraction azotée et une bonne partie du carbone des plantes partent en fumée et que la vie microbiologique du sol ne s’en trouve guère favorisée, les cendres apportent un minimum de fertilisation minérale gratuite à des paysans pour qui l’accès aux intrants est hors de prix. Cette fonction du feu de brousse est évidemment compatible avec la précédente.
Mais il est une troisième fonction beaucoup plus ambiguë qui ne se conjugue pas forcément avec les deux précédentes et qui complique singulièrement le problème : c’est celle de la chasse. L’incendie de savane a une fonction de rabattage du gibier qui abonde souvent dans les hautes herbes : antilopes, phacochères, agoutis (NB) restent les pourvoyeurs de base (et bien insuffisants !) en protéines animales de populations dépourvues des moyens d’acheter des produits animaux d’élevage ou du poisson dont la production est de toute façon insuffisante. Il faut souligner que, dans beaucoup de pays du sud-Sahara, la chasse ne peut pas être réalisée au fusil pour la raison que la détention des armes à feu est totalement interdite et étroitement surveillée. Il ne faut malheureusement pas y voir un louable souci des autorités de limiter une chasse incontrôlée, mais un effet de l’instabilité des régimes politiques qui redoutent toujours de voir une population armée se dresser contre eux...
Si les feux de brousse font des dégâts, c’est qu’ils sont mal maîtrisés par ceux qui les mettent en œuvre. Les incendiaires sont d’autant moins tentés de faire un effort quelconque de précaution qu’ils sont assurés d’une quasi-impunité puisque le recours en Justice, à supposer qu’il ait en l’espèce un minimum d’efficacité, est complètement hors de portée de ceux qui subissent les préjudices. Dans certains pays les feux de brousse sont interdits. Cette mesure draconienne est inapplicable, parce que, méconnaissant les fonctions des feux, elle n’est assortie d’aucune mesure d’accompagnement pour suppléer à ces fonctions. Reste le recours devant les autorités coutumières... mais comment transiger quand on sait par exemple que paysans et chasseurs, lorsqu’ils ne sont pas les mêmes, ont forcément des relations interdépendantes de famille ou de voisinage ? La coutume elle-même joue un rôle : dans certaines ethnies non musulmanes, par exemple, les jeunes filles nubiles en âge de procréer ne peuvent pas manger de porc, même si leurs familles en élèvent... aussi les porcs sont-ils vendus pour pouvoir acheter du gibier, car il y a toujours au moins une jeune fille nubile en âge de procréer dans une famille... et il serait étonnant qu’à ces occasions, la jeune fille soit seule à manger du gibier dont la chair est toujours bien plus appréciée que celle des animaux d’élevage !
A notre sens, le problème des feux de brousse ne sera pas résolu à coup d’interdictions aveugles et de mesures administratives trop générales. Il nous paraît au contraire devoir faire l’objet d’une approche progressive. Cependant notre objet était de montrer à quel point la question de la maîtrise des feux de brousse est un problème de développement à part entière qui ne sera pas résolu au moyen de mesures ponctuelles inadaptées à sa dimension et à sa complexité.
Alain Cavelier
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1 Les feux de savane contribuent largement au rétrécissement du territoire de la forêt tropicale, et nous avons vu des feux se propager au sein de plantations d’Eucalyptus ou de palmiers à huile.
2 C’est bien ce même groupement Mawuena qui a perdu l’un de ses bœufs mordu par un serpent alors qu’il avait prêté l’un de ses attelages à un groupement voisin.
3 Sorte de forte houe.
4 Gros rongeur sauvage dont la chair séchée est très prisée.
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