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(66,2) Mai 2000
Annulons la dette ! Une campagne internationale de pétition en faveur de l'annulation de la dette des pays pauvres les plus endettés a été menée au début de 1999, avec pour objectif d'influer sur les décisions du G7 qui se tenait le 19 juin à Cologne (Allemagne).
En France, cette campagne était menée notamment par Agir Ici, le CCFD, la Cimade, le CRID, la Ligue de l'Enseignement, RITIMO, le Secours Catholique, etc...et était soutenue par de très nombreuses associations comme Afrique verte, l'Appel des 100 pour la Paix, le Cun du Larzac, Emmaüs France, Emmaüs International, la Fédération Artisans du Monde, Frères des Hommes, Handicap International, Max Havelaar, le MRAP, Peuples Solidaires, Réseau Solidarité, Solagral, Terre des Hommes, pour ne citer que les plus connues.
Un an plus tard, et alors que l'annulation de la dette était revendiquée pour la présente année 2000, rien n'a encore vraiment ébranlé le système FMI/Banque Mondiale. Il convient donc de continuer la revendication jusqu'à l'aboutissement d'un système nouveau d'aide aux pays pauvres qui se fasse dans la transparence, avec la participation de la société civile, et où, surtout, les futurs prêts soient octroyés dans des conditions satisfaisantes et utilisés pour des programmes en faveur d'un développement durable (renforcement de la démocratie, équité sociale, préservation des ressources naturelles et énergétiques nécessaires aux générations futures).
Continuer cette revendication, c'est ce que fait, par exemple, la société civile espagnole, qui pousse à l'organisation d'une Consultation Sociale à l'occasion des élections générales du 12 mai1. Ce référendum touchera 20 millions de votants de 16 ans et plus, et permettra aux immigrés légaux de s'exprimer. Trois questions seront posées aux électeurs :
1°) êtes-vous favorable à l'annulation totale, par le gouvernement espagnol, de la dette extérieure des pays pauvres, qui était maintenue jusqu'à présent ? 2°) êtes-vous favorable à ce que la totalité du montant annuel de la dette annulée soit destinée aux populations des pays pauvres et à leur propre développement ?
3°) êtes-vous favorable à ce que les tribunaux enquêtent sur l'enrichissement illicite que les puissants du Nord et du Sud réalisent avec les fonds empruntés, et que ces sommes soient dévolues à leurs peuples ?Evidemment, la finalité de cette consultation est de montrer aux décideurs politiques qu'une grande quantité de personnes est au courant de ce problème, et qu'elle exige des mesures concrètes pour des changements réels.
Exactement un mois avant la consultation espagnole, c'est à Paris, le 12 avril, que ce sera déroulée, de la Place de la Bastille au Ministère des Finances, quai de Bercy, une manifestation organisée par le Club de Paris (Jubilé 2000), en collaboration notamment avec les collectifs ATTAC.
Ça bouge donc, et pour faire bouger encore plus2 , il est peut-être utile de rappeler quelques données essentielles concernant la dette :
Un peu d'histoire :
Au lendemain des chocs pétroliers de 1973 et 1979, des sommes considérables sont placées dans les banques des pays industrialisés par les pays producteurs de pétrole ("pétrodollars"). Ces banques, à la recherche de placements, prêtent massivement aux pays pauvres, à des taux d'intérêt réels très faibles (donc attractifs). Les programmes d'investissement se multiplient, mais ils correspondent rarement aux besoins réels des populations, qui, d'ailleurs, n'en sont guère informées. Ces prêts massifs font grimper la dette globale des pays pauvres, qui est multipliée par 12 de 1970 à 1980.
Au début des années 80, les Etats-Unis d'Amérique inaugurent une nouvelle politique monétaire qui se traduit par une forte hausse de leurs taux d'intérêt. Pour les pays emprunteurs, le montant des remboursements s'alourdit d'autant. Ils sont dès lors contraints d'emprunter pour rembourser les premières échéances de leurs premiers emprunts. C'est le début d'une spirale infernale.
La dette totale des pays du tiers-monde est aujourd'hui de plus de 2.100 milliards de dollars. Elle "n'était que" de 570 milliards de dollars en 1980, 1.100 milliards en 1986, 1.500 milliards en 1992. Celle des pays "pauvres les plus endettés" (critère Banque Mondiale) s'élève, quant à elle, à 232 milliards de dollars (chiffre de 1996). Ils sont presque tous en Afrique subsaharienne.
De quelles dettes parle-t-on ?
Il faut distinguer différents types de dettes :
1 - les dettes publiques :
F bilatérales (d'Etat à Etat) : aide publique au développement, crédits à l'exportation, qui se négocient au sein du "Club de Paris", F multilatérales ( celles des institutions financières internationales : FMI, Banque Mondiale, banques et fonds régionaux de développement)
2 - les dettes commerciales :
celles contractées vis-à-vis des banques privées (se négocient au sein du "Club de Londres").
La dette des 41 pays pauvres très endettés se décompose en moyenne comme suit : 56 % publique bilatérale, 28 % publique multilatérale, 16 % commerciale. C'est évidemment sur le poste 1 (dette publique) que porte la revendication citoyenne qui est la nôtre.
La proposition de la Banque Mondiale : l'initiative PPTE :
Actuellement, l'initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) est la seule proposition de la Banque Mondiale pour résoudre le surendettement des pays pauvres. Lancée en 1996, elle s'est révélée très insuffisante :
a/ elle se limite aux pays classés comme "pauvres" selon les critères macro-économiques de la BM. Or, certains pays dits "intermédiaires" (Brésil, Mexique, etc..) n'en comptent pas moins des populations en situation d'extrême pauvreté, et des mécanismes d'allégement sont nécessaires pour ces pays, b/ elle n'envisage pas l'annulation de la dette, mais seulement l'allégement, afin de la ramener à "un niveau soutenable". La BM entend par "niveau insoutenable" un taux de remboursement qui dépasse 25 % des recettes d'exportation du pays donné.
c/ à ce jour, seulement 7 pays ont bénéficié des mécanismes d'allégement de leur dette : Bolivie, Burkina-Faso, Côte d'Ivoire, Guyana, Mali, Mozambique, Ouganda.
d/ le processus d'allégement est bien trop lent : une fois la dette déclarée insoutenable, le pays doit attendre 6 ans avant de pouvoir bénéficier de l'allégement,
e/ durant ce délai d'attente, l'Etat en question est contraint d'adopter des politiques économiques conformes aux exigences du FMI. Tant pis pour les conséquences humaines !
Alors quoi ?
Dans la mesure où le maintien de la dette globale des pays pauvres (souvent contestable, parfois illégitime) accroît la fragilité du Système Monétaire International, dans la mesure où la dette a l'influence que l'on sait sur le mal-développement et favorise une immigration mal contrôlée, dans la mesure où l'obligation de rembourser peut pousser un pays donné à des exportations douteuses (drogue), dans la mesure où l'histoire nous a montré que l'obligation de rembourser une dette peut amener des dérèglements aggravant les risques de guerre (l'Allemagne après 1918), nous avons tous intérêt à l'annulation totale de la dette publique des pays pauvres.
De toute façon, il n'y a pas de risque majeur à cette annulation, puisqu'en définitive la dette ne sera jamais totalement payée. Certains pays, dont la France, ont déjà tiré les conséquences de cette situation en annulant tout ou partie de leurs créances bilatérales vis-à-vis des pays pauvres très endettés.
Aujourd'hui, l'ensemble des dettes publiques (bilatérales et multilatérales) de ces pays relève d'une décision politique. L'annulation de la dette publique bilatérale égyptienne (pour remercier ce pays de sa position au moment de la Guerre du Golfe), ou l'annulation de la dette polonaise, sont des exemples de ce que la chose est possible.
A nous donc de continuer de faire pression sur les politiques. Non seulement pour l'annulation de la dette, mais aussi (car l'annulation seule sans traitement des problèmes du développement n'aurait pas de sens) pour, par exemple :
1°) revendiquer un droit international régissant la dette sur le modèle de la législation nationale (française) de protection des ménages surendettés : coresponsabilité, limitation des remboursements en fonction des capacités réelles (potentiel d'exportations), régulation des flux nets de transferts de capitaux, 2°) mettre en place une cour internationale d'arbitrage qui interviendrait en cas de difficulté de remboursement, pour juger des responsabilités des emprunteurs, des prêteurs et des fournisseurs, les ONG pouvant se porter partie civile,
3°) engager la réforme des institutions financières internationales pour qu'elles œuvrent en faveur d'un développement durable.
Claude Tellier,
d'après le document "Pour l'An 2000, annulons la dette !"
1 Source : Internet du 22 mars 2000 : http ://attac.org/quebec/
2 Nos adhérents français peuvent toujours s'associer aux actions et campagnes en cours, dans les boutiques Artisans du Monde, dans les groupes ATTAC (liste des groupes au 9bis rue de Valence, 75005 PARIS) ou encore auprès du CCFD qui avait assuré le secrétariat de la campagne de 1999 : 4 rue Jean Lantier, 75001 PARIS (préciser Dette 2000). Nos adhérents non-français peuvent contacter les groupes ATTAC de leur pays quand ils existent.
Pour en savoir plus, on peut lire...
Ä La dette des Tiers-Mondes, par Marc Raffinot, Editions La Découverte, 1993 ÄCrédits sans frontières, par Susan Georges et Fabrizio Sabelli, Editions La Découverte, 1994
Ä La Bourse ou la vie ? par Eric Toussaint, Editions CADTM, 1998
Ä Rapport mondial sur le développement humain, PNUD (ONU) publication annuelle