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Les idéalistes souhaiteraient dépasser les murs des frontières pour enfin s’attaquer sérieusement aux problèmes communs de notre planète avec une gestion mondiale et des décisions qui s’imposent à tous, mais le nationalisme revient en force, expliquant que la légitimité de l’action politique ne peut se déployer que dans le cadre national. Comment sortir de ce dilemme qui paralyse notre action et laisse les problèmes universels, notamment environnementaux sans solution ? L’écologie n’est-elle pas une question suffisamment prégnante pour devenir le fondement d’une nouvelle citoyenneté, celle de notre Terre, dont nous n’avons qu’un exemplaire ?

Fédéralistes et citoyens du monde

Les tentatives d’association cosmopolite de citoyens du monde ont abondamment fleuri aux xixe et xxe siècles avec l’idée de construire un ordre moral universel qui ne dépende pas des États. Elles critiquent l’insuffisance de la souveraineté des États et leur dénient le droit de s’ériger en seule instance législative. S’il existe un ordre dans l’humanité, celui-ci doit être défini à partir de l’universel et non à partir du particularisme national. D’où les projets de gouvernement mondial et de parlement universel.

Le cosmopolitisme a une longue histoire note1. Sans remonter à l’Antiquité et au Moyen Âge, insistons sur les projets de paix perpétuelle qui ont fleuri à partir des Lumières, notamment celui de l’abbé de Saint Pierre, en 1713. Le cosmopolitisme kantien s’appuie sur l’universalisme de la loi morale qui doit s’étendre à tout homme de cette planète. Mais il ne réussit pas à s’imposer car il oublie la particularité des cultures, la force des traditions et de l’histoire locale. Il propose une représentation d’un ordre moral du monde. Il oublie la force des nations, la profondeur des intérêts nationaux qui ont provoqué tant de conflits aux xixe et xxe siècles.

C’est dans cette ligne universaliste que se sont développées, dans les années 1945-1948, des associations de citoyens du monde et différentes organisations fédéralistes mondiales. Après un dramatique et violent conflit mondial, il fallait chercher des structures universelles permettant de dépasser les nations. En 1945, à l’Université de Chicago, aux États-Unis, se réunit un comité pour la promotion d’une Constitution du monde. En octobre 1946, les fédéralistes internationaux se retrouvent au Luxembourg et prennent le nom de « Mouvement pour un gouvernement fédéral mondial ». En 1947, à Montreux, en Suisse, 51 organisations fondent le Mouvement universel pour une confédération mondiale.

Le cosmopolitisme contemporain est différent : il ne cherche plus à nier les États, mais il propose des règles communes à l’échelle universelle et le respect des lois internationales.

Il s’est développé en particulier après la guerre froide, alors que le monde semblait se libérer des oppositions d’idéologies nationales qui l’avaient menacé d’un cataclysme nucléaire et qui avait mené les États-Unis à des guerres ruineuses, notamment au Vietnam. Cette conjoncture débouchait sur une nouvelle question mondiale au-delà de celle de la sécurité. Elle s’interrogeait sur la construction de la paix par la justice, par la solidarité entre les peuples, par des liens d’échange et de circulation de plus en plus forts. Le monde devenait ouvert à tous, dans la libre circulation générale. La mondialisation mettait tout endroit de la planète en dépendance avec d’autres, dans des liens commerciaux vitaux pour le maintien de l’activité économique de tous. Les échanges semblaient avoir réussi cet universalisme que la politique n’avait pas réalisé.

Mais la mondialisation de la production et de la consommation est-elle suffisante pour garantir l’avenir de la planète, dans une interdépendance généralisée qui éviterait les conflits pour demain ? Permet-elle de dépasser les frontières nationales ou enferme-t-elle en réalité dans la concurrence ? Certes, elle empêchera les guerres qui deviendraient trop coûteuses parce qu’elles viendraient interrompre les échanges commerciaux. Mais elle n’est une garantie positive ni sur le plan de la justice, ni sur celui de l’environnement, parce que c’est elle qui pousse à la compétition et à la recherche d’économies de production et à l’augmentation des rendements qui occasionnent tant d’inégalités et la destruction de l’environnement.

Leçons européennes

Dans le cadre européen, un certain fédéralisme cherche à dépasser les États sans les nier, dans ce que Jacques Delors a appelé une « fédération d’États-nations ». Mais, Jürgen Habermas propose d’aller au-delà avec ce qu’il appelle un « patriotisme constitutionnel » pour proposer aux citoyens une appartenance juridique directe à l’Europe. Il s’agit de rattacher les citoyens de ce continent à une loi commune européenne au-delà des différences historiques nationales.

L’histoire de soixante ans de construction européenne montre bien les heurs et malheurs de ce processus de dépassement des souverainetés nationales, qui reste trop abstrait et désincarné s’il oublie la référence aux nations. Le réflexe nationaliste des dirigeants européens, poussés par des populations inquiètes pour leur avenir, rend la construction continentale particulièrement chaotique puisque beaucoup refusent une délégation de souveraineté à un niveau qu’ils ne contrôlent plus. Chacun veut pouvoir garder la main sur les décisions qui le concernent, refusant de croire au principe de subsidiarité. Les États ne veulent pas abandonner le principe d’unanimité pour les décisions les plus importantes. Du coup, la moindre réticence d’un seul membre cause la faillite du tout.

Le fédéralisme européen n’avance finalement que sous la peur de l’échec. Pesant les avantages et les inconvénients de la démarche, les membres finissent par se décider pour avancer dans le fédéralisme. La crise de l’euro provoquée en partie par la crise grecque a ainsi contraint à une fédéralisa26 tion, très prudente et limitée mais réelle, des décisions économiques et budgétaires.note2

La citoyenneté européenne supranationale avance, dans l’urgence, sous la contrainte volontaire de l’intérêt collectif immédiat, mais pas à cause d’une dynamique de long terme. Elle n’est pas comprise par le citoyen qui ne voit pas ce que peut signifier la souveraineté partagée ou la subsidiarité.

Deux crises mondiales

Au niveau mondial, des crises se présentent qui sont dues à la multiplication des acteurs ayant des intérêts différents. Les crises financières récentes en sont une illustration. Partie des États-Unis avec la crise des subprimes, la crise de 2008 a été générale. Elle s’est reproduite en 2011 avec la crise grecque, alourdie de celle des dettes souveraines des pays européens et de celle de l’euro.

Après 2008, quelques nouvelles régulations ont été établies sur la taille des banques ou sur les fonds propres, mais bien des questions demeuraient. Dans ce cadre des finances internationales, le monde aurait pu faire un pas vers quelques règles communes : taxation des transactions financières, recapitalisation des banques, séparation des activités de dépôt et d’investissement. Pourtant ce ne sont pas les États qui ont empêché la formation de ces principes, mais le marché financier lui-même par son attitude. Il échappe à toute régulation internationale et passe entre les mailles du filet étatique, notamment par les paradis fiscaux, où se réfugient la moitié des fonds disponibles sur la planète, y compris ceux des grandes banques internationales.

En 2011, il fallut le risque d’un démantèlement de l’euro pour que des décisions soient prises par les politiques. En sauvant l’euro, les nations européennes se sauvaient ellesmêmes. Mais ce n’était pas grâce à l’opinion publique. À la question « êtes-vous prêts à faire des sacrifices personnels pour sauver l’euro », 80 % des sondés répondaient massivement non. C’est dire aussi la distance entre la préoccupation individuelle et le marché qui brasse des milliards et qui ne semble pas fonctionner au bénéfice de tous.

Mais il est une autre crise plus difficilement perceptible qu’il faut évoquer, c’est la crise de l’environnement. Tous les responsables politiques savent bien qu’il faut freiner le réchauffement climatique, protéger la biodiversité, limiter l’usage des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. Or des évolutions sont perceptibles qui posent des questions pour la santé immédiate des populations (sans parler des catastrophes naturelles). La pollution atteint dans les villes des taux dangereux, les rivières déversent encore dans la mer des produits toxiques et du plastique que l’on retrouve en grande densité au beau milieu des océans. Des politiques coûteuses ont été lancées pour corriger ces conséquences du développement.

Mais l’urgence de la crise financière a occulté la crise environnementale et les mesures qui avaient été engagées dans plusieurs pays, y compris en France avec le Grenelle de l’environnement. Aux États-Unis, Barack Obama a dû en rabattre sur ses prétentions environnementales pour des raisons économiques. Sommet après sommet, les objectifs ne sont plus tenus : le réchauffement climatique dépassera 2° C sur toute la planète, avec son cortège de conséquences, sans savoir où il s’arrêtera. La population semble avoir oublié la préoccupation environnementale, devenue invisible derrière la crise financière.

Ces deux lieux de crise manifestent comment se construit un désordre mondial qui rapproche tous les citoyens du monde dans la soumission à des mouvements économiques ou financiers de plus en plus incontrôlés, mais aussi devant une incertitude profonde sur les conditions environnementales futures de leur vie quotidienne.

Les demandes d’autorité mondiale

De ces crises financières et environnementales, il résulte un besoin de gouvernance mondiale. Les sommets G8 ou G20, ou les réunions de l’ONU autour du climat sont censés apporter des réponses à toutes ces questions. On célébrera en juin 2012 les 40 ans du premier Sommet de la terre qui eut lieu en 1972 à Stockholm #n3. La série de Sommets qui a suivi a-t-elle produit des fruits pour la gouvernance de l’environnement ?

La question de l’ordre mondial est donc clairement posée #n4 car aucun État ne peut faire face au caractère universel des nouveaux problèmes à affronter. L’ONU ne propose pas de réponse en dehors de négociations complexes limitées à des sujets spécialisés #n5. De plus, les négociations climatiques de l’ONU n’avancent qu’au gré des bonnes volontés des États, c’est-à-dire selon les capacités des opinions publiques de comprendre les enjeux du problème. Or ces capacités sont très inégalement réparties, surtout dans le pays le plus pollueur de tous, les États-Unis.

L’OMC traite bien du commerce mais avec la limite du vote souverain de chaque membre, donc sans pouvoir supranational. La Banque mondiale ou le FMI apportent à leur manière leur concours à une solidarité financière. La FAO, l’Unesco et d’autres agences de l’ONU rendent des services évidents, mais ne construisent pas un ordre mondial.

De nombreuses tentatives de synthèse de gouvernement mondial ont été tentées sur ce point, depuis l’essai de morale politique sur la paix perpétuelle de Kant. On citera en particulier la publication en 1948 d’un Schéma préliminaire d’une Constitution mondiale par le Comité de Chicago, dans Common Cause. Cette République fédérale mondiale s’appuierait sur des institutions élues indirectement ; elle aurait une armée mondiale et de nombreuses compétences. Mais ce projet comme tous les autres fonctionnent comme une utopie dessinée d’en haut.

L’Église catholique a suivi ces mêmes lignes en développant le principe d’une autorité mondiale depuis des décennies, exactement depuis l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII en 1963 #n6. Pendant la guerre froide, elle n’a pas repris ce discours, le sentant trop faible et trop éloigné de la réalité de l’opposition entre les deux grandes puissances et la division du monde. Mais elle y revient avec Benoît XVI qui l’a repris dans Caritas in Veritate #n7, où il dessine, au-delà d’une vision purement interétatique de la mondialisation, une synergie plus réaliste des efforts entrepris par toutes les instances internationales issues des États, mais aussi des agences spécialisées internationales, des associations, des syndicats et des Églises. Sa réflexion est encore précisée récemment par le texte du conseil « Justice et Paix » #n8 sur la crise financière et les perspectives d’une « autorité publique à compétence universelle ». Jamais l’Église n’a été aussi explicite sur son projet qui s’applique en l’occurrence à la réglementation financière : cette Autorité pourrait inviter à une solidarité fiscale globale et à une « distribution équitable de la richesse mondiale ».

Appartenance à la Terre

Si l’Église pose la bonne question d’une Autorité mondiale, elle ne l’applique pas qu’aux réalités financières, mais aussi aux questions environnementales. Comme nous l’avons dit, Benoît XVI l’a rappelé dans Caritas in veritate en mettant en perspective la défense de l’homme et celle de la nature #n9. Le pape ne tombe pas dans le piège d’une « écologie profonde » qui oublie que la nature est au service de l’homme. Mais l’environnement doit être défendu parce qu’il est la condition de la vie humaine. Il n’est pas « un simple matériau dont nous pouvons disposer à notre guise, mais c’est l’oeuvre admirable du Créateur, portant en soi une “grammaire” qui indique une finalité et des critères pour qu’il soit utilisé avec sagesse et non pas exploité de manière arbitraire ». Le pape propose ici une manière théologique d’inviter à une appartenance à la Terre.

Mais par de multiples aspects de son discours, il invite à une solidarité que les chrétiens partagent avec beaucoup. Nous pouvons tous nous interroger sur ce que nous laissons en héritage aux générations qui nous suivent. Cette seule planète sera-t-elle vivable pour les enfants qui naissent aujourd’hui et qui seront dans la force de l’âge en 2050 ?

Cet argument de la solidarité intergénérationnelle devrait être plus parlant qu’une réflexion sur le droit, le bien commun mondial, toutes choses qui restent bien abstraites. Il ne s’agit pas seulement de faire un bon organigramme d’une autorité mondiale, mais de savoir comment sensibiliser les populations à l’attachement à leur Terre. Un organigramme ne crée pas un attachement, une appartenance. Il dégage au contraire de sa responsabilité car il fait porter à d’autres le soin de l’initiative.

Ainsi, nous passons d’une citoyenneté du monde à une citoyenneté de la Terre. Ce passage est central et mérite explication. Il permet de passer de l’abstrait au concret, sans retomber dans le piège national. La Terre donne des droits et invite à des devoirs ; le droit à un environnement qui respecte l’homme et la nature et en favorise le développement, mais aussi le devoir de respecter cette nature. Les questions sur l’avenir de la planète déplacent ainsi le débat de l’autorité mondiale en charge de la paix et de la bonne coordination des finances ou du commerce mondial vers une gestion commune des ressources de la Terre. C’est aussi passer d’un traitement, dans l’urgence, des différends internationaux à une application aux questions importantes de long terme posées par l’environnement. Comme dans la gestion de son temps personnel, il faut mettre la priorité sur les questions importantes avant de traiter les questions urgentes.

L’importance à long terme des questions écologiques oblige ainsi à renverser la dynamique politique, qui s’applique surtout au court terme dans le cadre national. La citoyenneté de la Terre impose une prise en charge mondiale sur le long terme, tout en apportant une approche incarnée.

Mais comment sensibiliser les citoyens à la nécessité d’une telle autorité mondiale sinon en leur montrant que leur avenir sur Terre en dépend ? L’écologie n’est jamais vraiment urgente. On peut reporter à l’an prochain des mesures qui auraient pu être prises cette année. Mais sa prise en compte est tout à fait importante car la terre a des ressources limitées, autant en mer que dans les sous-sols. Elle a aussi une capacité limitée d’absorber les pollutions que nous produisons. Elle nous les renvoie parfois sous des modes les plus encombrants, telles les algues vertes qui envahissent la Bretagne à cause des nitrates déversés par l’agriculture.

C’est bien notre Terre, la seule que nous ayons qui est en train d’être défigurée par l’activité humaine. Elle est rendue invivable. Plusieurs villes d’Asie parmi les plus polluées du monde deviennent des pièges pour leurs habitants #n10. L’appartenance à la Terre dépasse toutes les frontières comme les pollutions de toutes sortes dépassent le cadre national.

La question écologique se pose donc à tous, pour exiger un respect de la nature qui permette à l’homme de vivre. Mais il est vrai qu’elle ne se pose pas dans les mêmes termes au bord des fleuves pollués de Chine ou au coeur de Mexico qu’à côté d’un village corse. Les inégalités creusent des différences profondes entre des populations. Les unes sont soumises à des pollutions massives ou doivent se battre pour répondre à leur besoin minimum d’eau, d’autres vivent encore dans des grands espaces naturels protégés avec toutes les ressources nécessaires à disposition.

Il est ainsi difficile d’expliquer à un habitant du Middle West américain que son pays est un des grands pollueurs de la planète alors qu’il possède espace et richesse de la nature à perte de vue. Pour faire vivre le sentiment d’appartenance à la Terre, il faut prendre conscience des limites de cette planète et regarder le sens du lien d’humanité entre ses habitants.

Souveraineté

Or les citoyens des nations démocratiques ne perçoivent pas que cette démocratie où ils vivent « leur confère une souveraineté en partage» #n11, une responsabilité qu’ils doivent exercer ensemble, les uns pour les autres. Elle ne leur donne pas seulement des droits qu’une autorité devrait leur garantir, des avantages qu’il faudrait défendre comme s’ils pouvaient décider seuls de leur avenir. La souveraineté est liée à la démocratie, c’est-à-dire au vivre ensemble, à la relation avec les autres citoyens, voire à la défense des droits des autres citoyens. Autrement dit, elle donne des responsabilités par rapport à la communauté où ils vivent. La vie bonne pour tous sera l’oeuvre de chacun. Il ne suffit pas d’élire de bons gouvernants, il faut encore réaliser dans son comportement quotidien le projet que l’on souhaiterait pour tous.

Cette affirmation étant bien comprise, le débat doit se prolonger non plus sur la responsabilité qui dérive de la citoyenneté et de la souveraineté mais sur l’espace où doivent se développer cette souveraineté et cette responsabilité. Elle n’évacue pas les responsabilités locales ou nationales de questions qui doivent être résolues à ce niveau, mais elle accepte le principe selon lequel les problèmes qui concernent la planète doivent faire l’objet d’un débat entre tous les citoyens du monde.

Il ne s’agit pas d’abord de contraindre par des lois extérieures, même si cela sera nécessaire, mais de faire comprendre que le citoyen, parce qu’il est libre, responsable et égal à tous les autres, doit se prononcer pour le bien et le juste dans la société mondiale. Parce qu’il est citoyen de la Terre, il ne peut pas se désintéresser de l’empreinte écologique de son propre comportement. Cette affirmation est d’autant plus vraie que la planète ne peut pas supporter un développement comme celui de la France ou des États-Unis pour les 7 milliards d’hommes que nous sommes maintenant, encore moins pour les 9 milliards de 2050.

Tous citoyens de la Terre

Une telle prise de conscience peut être faite par chacun, non seulement par une sorte d’obligation morale, mais par un intérêt bien compris, le sien propre, et celui de ceux qui lui sont proches et en même temps celui de ceux qui sont lointains. Car dans les questions climatiques, il n’y a plus de différence entre celui qui est loin et celui qui est proche, sinon une capacité de défense inégale. Les inondations frappent la Nouvelle Orléans, mais aussi Bangkok. Les pics de chaleur toucheront Paris, New York ou Pékin. La hausse des températures sera générale et non locale. La montée des mers touchera le Bangladesh mais aussi la Vendée.

Le fait d’être à la même enseigne devant le climat, l’écologie et la transformation de l’environnement nous rapproche les uns des autres. Il renforce notre solidarité, marchepied de la responsabilité mutuelle. Il fait de tous les hommes des citoyens de la Terre. La souveraineté devrait s’épanouir dans ce contexte et rendre plus facile les prises de décisions mondiales. Mais un tel mouvement ne coule pas de source car il ne faut pas sous-estimer l’influence et l’effet de l’individualisme ambiant, de la volonté de tout décider par soi-même, de la défense des acquis et de la difficulté d’accepter des limites à sa liberté. Internet, autant que le développement de l’individualisme éclaire et brouille à la fois le débat sur ces sujets. Le lien de solidarité est trop souvent distendu. L’appartenance à une commune humanité est menacée par cette limitation de nos horizons. Les scientifiques entre eux ne peuvent pas s’entendre et ne s’entendront pas. Il revient au pouvoir politique de se décider pour le bien commun pourvu qu’il trouve une majorité pour le soutenir.

C’est dans une évolution lente, poussée par des débats intellectuels et des expériences de terrain, que les habitants de cette planète deviendront progressivement des citoyens de la Terre. Des événements naturels extraordinaires viendront le rappeler à la réalité si le citoyen était pris dans d’autres préoccupations comme il l’a été en cette année 2011, positive pour la démocratie dans les pays arabes, mais funeste pour les finances mondiales, et plus encore pour l’environnement qui est passé à l’arrière-plan de la scène.

Pierre de Charentenay s.j.
www.revue-etudes.com

COMMENTAIRE

Concernant le texte de Pierre de Charentenay, voici ce que j'ai noté en fin de lecture. Bien sûr, ce commentaire n'engage que moi-même :

  • "erreurs" dans les définitions. "Toute discussion sur les idées est en réalité une discussion sur les termes et réciproquement". C'est ainsi que commence la brochure n° 15 de la Somme Mondialiste. Bien sûr le terme "erreur" est subjectif, mais on peut convenir par exemple que l'"international" n'est pas le "mondial" et que le "mondial" n'est pas l'"universel". Le cosmopolitisme n'est pas le mondialisme. etc...
  • manque de connaissances historiques sur le mouvement mondialiste Il parle du groupe de Chicago, du congrès de Montreux, qui sont des démarches fédéralistes d'une élite, mais il passe sous silence la citoyenneté mondiale qui a concerné plus d'un million de personnes dès 1948-1949, et dans laquelle se reconnaissent actuellement 30 à 40 % de la population mondiale - que l'on soit enregistré ou non.
  • superficialité de l'exposé : on ne comprend pas les fondements des concepts qui permettent à l'auteur d'aller droit à sa conclusion (langue de bois ?)
  • manque d'amplitude des thèmes et propositions, notamment la question des Droits de l'homme est quasiment ignorée, alors que la Déclaration universelle des droits de l'homme est la passerelle entre le droit international et le droit mondial (devrait-on dire "droit terrien" ?)
  • non considération des différentes formes de démocratie. La citoyenneté mondiale est présente dans ses trois dimensions : la verticalité (qui rejoint le fédéralisme) l'horizontalité (qu'on appelle aussi démocratie participative), et la transversalité. Elle n'établit pas tel ou tel aspect comme définitivement central, tandis que la citoyenneté de la terre focalise toute la vie politique sur la connaissance et le respect de l'environnement. Si cet aspect apparaît aujourd'hui incontournable alors qu'il était inconnu avant la conférence de Stockhom en 1972, c'est surtout qu'il lui manque les cadres de régulation que pourrait lui apporter une Autorité mondiale de l'environnement. Imaginons que cette institution ait vu le jour, et qu'elle produise ce qui en est attendu en termes de règles et de sanctions, notre centre d'intérêt pourrait alors se déplacer vers un autre aspect de la vie sociale et politique du peuple mondial. On est donc ici devant un phénomène alliant la mode et la nécessité.
  • opposition dans les termes '"citoyens" et "terre". La terre est notre vaisseau spatial, mais peut-on être membre de son logement plus que de la famille qui l'habite ? Même si l'éthymologie n'est pas exacte, ou discutable, on peut dire que le (membre d'une cité= citoyen) de la terre ne serait ni plus ni moins qu'un paysan, c'est à dire l'habitant d'un pays (pas nécessairement le "payen") qui a la connaissance et le respect ("la culture") du milieu dont il tire sa vie. Cette dimension personnelle et peu sociale a été expérimentée durant des millénaires (servage, métayage, fermage) et ne peut pas aboutir à la justice. A son contraire le "monde" est le milieu dans lequel la justice peut s'exercer. On est "citoyen", c'est-à-dire membre de la cité "monde", et non de la cité "terre".
  • alignement sur un discours journalistico-politique : le thème du réchauffement climatique qui nous est rebattu à longueur de temps n'en est qu'à l'état de postulat scientifique. Le travail du GIEC, aussi intéressant soit-il, est discuté par de nombreux sicentifiques, car il a placé un focus beaucoup trop avancé sur l'interaction de l'activité humaine et de l'évolution du climat, ignorant trop les grandes ères climatiques qui se définissent non tant en raison de l'activité en surface de la planète qu'en raison des phénomènes cosmiques, et notamment selon les variations de l'activité solaire. Le discours qui résulte de ce focus trop avancé est intéressant dans sa dimension d'éducation à la citoyenneté, donc à la responsabilité collective sur la partie malléable à notre échelle, et donc aussi au partage avec les générations à venir, mais il présente trop de raccourcis pour être crédible.(...) Je remets donc ici en cause l'appropriation faite par Pierre de Charentenay de ce discours journalistico-politique pour justifier le passage de la citoyenneté mondiale à la citoyenneté terrienne, qui par ailleurs, je l'ai démontré, est fortement discutable.

Daniel Durand

Notes

  1. Voir les pages sur l’histoire du cosmopolitisme dans La morale du monde, de Monique Canto- Sperber, PUF, 2010, p. 222 et suivantes. retour
  2. Voir les résultats du Sommet européen du 27 octobre 2011 - retour
  3. Deuxième Sommet de la terre à Nairobi au Kenya en 1982, troisième Sommet à Rio en 1992, quatrième Sommet en 2002 à Johannesburg. - retour
  4. Voir le livre un peu rapide mais suggestif de Jacques Attali, Demain, qui gouvernera le monde ?, Fayard, 2011. - retour
  5. Y compris l’environnement avec la réunion annuelle de la CCNUCC, créée en 1995, Convention Cadre des Nations Unie sur le changement climatique. - retour
  6. Paragraphes 71 à 74. - retour
  7. Paragraphe 67. - retour
  8. Texte du Conseil pontifical « Justice et Paix » paru en octobre 2011 : « Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle. » - retour
  9. Paragraphe 48 de l’encyclique. - retour
  10. En rai son d’une concentration de pollution cette semaine là, l’air respiré par les habitants de Pékin le 31 octobre 2011 était déclaré « dangereux » par les autorités américaines établies dans cette ville. - retour
  11. Lire sur ce thème le remarquable ouvrage de François Monconduit, Devenir citoyen, essai de philosophie politique, Bruylant, 2006, p. 1. - retour

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