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À propos de : Valéry
Pratt, |
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Le droit international est aujourdhui en pleine mutation et V. Pratt espère quil devienne très vite un droit cosmopolitique, qui dépasserait le principe de souveraineté des États pour protéger les individus. Mais cette évolution est-elle réellement souhaitable ? Dans cette contribution à une philosophie du droit international, Valéry Pratt propose un parcours dont le fil directeur est la question de la constitutionnalisation du droit international. Le droit international, par définition, ne peut pas avoir de statut « constitutionnel » dans le même sens que le droit étatique. Cest sa particularité, souvent relevée comme le signe de son impuissance à réguler efficacement les relations internationales. « Constitutionnaliser » le droit international est le nom dun programme humaniste, visant à lui donner la robustesse et leffectivité nécessaires pour pallier, enfin, cette malformation congénitale et en faire linstrument véritable de la régulation des relations. Encore faut-il prendre le problème avec délicatesse, car la notion d« État mondial » est un repoussoir. Kant lui-même considérait lidée de « monarchie universelle » comme un « monstre ». Tout lenjeu de la réflexion de Valéry Pratt, dans les pas de Jürgen Habermas, est de découpler le concept dÉtat du concept de Constitution, pour faire apparaître quil peut y avoir un État de droit véritable et effectif, dans une complexité horizontale, à la mesure de lenchevêtrement des relations internationales contemporaines, sans en passer par le modèle dune autorité étatique supranationale. Doù lidée phare dun « droit international délibératif ». Le livre, tout en assumant son caractère moralement normatif, se veut réaliste. Lidée de démocratie mondiale sert de fil directeur. Il sagit textes fondateurs à lappui de mettre au jour la téléologie immanente du droit international contemporain, pour faire apparaître quil est actuellement, selon la formule de Habermas, dans « une époque de transition » (p. 11). Nuremberg, un jugement « entre deux mondes » La lecture analytique des textes préparatoires à létablissement du Tribunal de Nuremberg, en particulier ceux de Robert Jackson juge de la Cour Suprême des États-Unis, et Procureur en chef pour les États-Unis lors du procès des dirigeants nazis permet à Valéry Pratt de faire apparaître le caractère « entre deux mondes » du Jugement de Nuremberg. « Entre deux mondes », car à la fois fondateur, mais souffrant aussi dun certain inaccomplissement. Jackson, comme Hans Kelsen au même moment, défend limportance dun règlement judiciaire de la sortie de la guerre mondiale tant pis si cela contrevient au principe de non-rétroactivité et au fait que seuls les États, et non les individus, soient censés être sujets directs du droit international. Ce caractère « ex post facto » est en quelque sorte un mal nécessaire pour que ce tribunal ait un caractère fondateur et puisse servir de préfiguration du droit international à venir, instrument de « la paix par le droit ». Doù lamertume de Kelsen après coup, extrêmement critique par rapport au fonctionnement effectif du Tribunal de Nuremberg, quil considère comme un tribunal de vainqueurs. Sans aller, comme Carl Schmitt à la même époque, jusquau diagnostic général dun « virage vers le concept discriminatoire de guerre », Kelsen dénonce le fait que seuls les vaincus de la guerre comparaissent devant le Tribunal. Mais peut-être était-ce le prix à payer pour que, comme le dit Pratt, Nuremberg ait pu « anticiper ce qui nexistait pas encore dans la société internationale, mais ce qui était attendu delle » (p. 102). Lessor des droits de lhomme Après la guerre, les Droits de lhomme deviennent le nouveau vocabulaire des relations internationales. Deux modèles du droit semblent alors se tendre la main : le droit international humanitaire (classique régi par la logique de légale souveraineté des États qui, lorsquils se font la guerre, doivent protéger les soldats et les civils), et le droit international des droits de lhomme (prenant en compte lindividu comme sujet de droit et comme support et bénéficiaire des droits de lhomme). La voie est ouverte à un changement de paradigme du droit international. Celui-ci passerait dun droit inter-étatique, fondé sur des conventions entre États, à un droit cosmopolitique, caractérisé par deux traits principaux : les individus y sont sujets directs du droit international ; certains traités y sont susceptibles davoir une portée constitutive pour la communauté internationale dans son ensemble, valables même pour des États qui nen sont pas signataires. Cet universalisme juridique pose le problème dun éventuel occidentalo-centrisme en particulier dans le contexte, après-guerre, de la décolonisation. Pour Pratt, il faut cependant dépasser ce stade de la critique des Droits de lhomme. Dans la lignée de la théorie de lagir communicationnel, Pratt argue ainsi que, pour critiquer les Droits de lhomme, il faut déjà se poser comme sujet dune communication rationnelle, donc partager des principes avec ceux dont on conteste, éventuellement, les valeurs. La critique anti-colonialiste des Droits de lhomme est dabord, pour Pratt, le symptôme du moment historique dans lequel se trouve le droit international. En référence au psychologue américain Lawrence Kohlberg, Pratt distingue trois étapes de son développement : une enfance, correspondant à un stade préconventionnel du droit international (état de nature) ; une adolescence, correspondant au stade conventionnel et à la fixation sur la souveraineté ; enfin, un âge adulte, post-conventionnel, où les identités nationales et la problématique du relativisme des valeurs seraient dépassées. La situation actuelle, réelle, serait le stade intermédiaire, « adolescent », où le droit international reste cramponné à son stade « conventionnel » : un droit de traités, où les États ne renoncent pas à leur souveraineté, parce que la communauté internationale elle-même na pas encore dépassé le stade de sa structuration sous sa forme inter-étatique. Mais cette « adolescence » du droit international est, par définition, censée porter en elle le programme de sa propre disparition. La constitutionnalisation du droit international Lavenir du droit international serait donc résolument post-étatique et cosmopolitique. Il faut, dit Pratt, définir les termes dune « politique intérieure mondiale sans gouvernement mondial » (p. 217). La gageure est de penser une unité politique mondiale, sans toutefois la subordonner à lordre vertical dun gouvernement mondial. La société civile mondiale est une société des individus car, dit Pratt, « seul lÉtat cosmopolitique permettra dabolir la guerre » (p. 243). Comment traduire cela concrètement ? Pratt tâche de formuler des horizons de réforme qui auraient un sens concret dans le monde tel quil est : « Pour démocratiser le droit international, il faut réformer le Conseil de sécurité (en supprimant le droit de veto et la règle de lunanimité), démocratiser les États pour quils coopèrent mieux, sappuyer sur les accords régionaux, au premier rang desquels lUnion européenne, et reconnaître que les risques écologiques et financiers forcent les États à chercher à sentendre pour définir des règles communes dans une communauté involontaire fondée sur les risques encourus par tous » (p. 234). Mais il faudrait aussi aller plus loin, en sortant franchement du modèle étatiste : ne pas « penser le droit international comme une projection du droit interne, mais comme un droit nouveau, un droit différent » (p. 235), en remplaçant, par exemple, lAssemblée générale de lONU par un Parlement des citoyens. La notion de « délibération » devient le maître-mot de ce programme dune politique horizontale, où les individus sapproprient leur devenir, sans être assujettis à des instances supérieures. Vision dun ordre juridique cosmopolitique « où les citoyens discutent, dans un système à plusieurs niveaux (national, régional, transnational, supranational) » (p. 256) dans le cadre de ce que Pratt désigne comme un « tournant linguistique du droit international » (p. 257). La persistance du schéma inter-étatique Quel sens, cependant, ont de telles prescriptions ? La vision dun monde post-national, post-étatique, les spéculations sur une politique de la « bonne volonté » (p. 241) ? Ce que Carl Schmitt dénonçait comme un « normativisme abstrait » ne risque-t-il pas de déboucher immanquablement sur une philosophie du droit international qui sera une simple philosophie de la déploration ? Valéry Pratt sait bien quil parle dun état cosmopolitique « que nos schmittiens ridiculisent comme étant simplement une bonne intention ». Cependant, pour Pratt, comme pour Habermas, il y a une réalité normative, irréductible à la réalité factuelle. La logique immanente de lidée même dÉtat de droit mène à lhorizon dune cosmo-politique délibérative, où « les décisions doivent être construites par léchange darguments, par des négociations entre différents acteurs qui cherchent à sentendre » (p. 257). Les États eux-mêmes, en se réclamant de lÉtat de droit pour fonder leur légitimité, visent lhorizon de la forme inter-individuelle de la politique, et du dépassement de lusage égoïste de leurs souverainetés. On peut questionner le texte de Pratt sur ce qui nous paraît être son présupposé constitutif fondamental : une lecture téléologique du droit international, censée mener de son paradigme inter-étatique à un paradigme cosmopolitique, inter-individuel, amenant à considérer le droit international actuel comme un droit transitoire, « adolescent ». Cette « adolescence » nest-elle pas létat réel et durable du droit international, dont il ny a pas lieu de viser un dépassement ce qui nempêche pas, bien sûr, de viser son amélioration ? Par exemple, la Cour Pénale Internationale offre-t-elle véritablement la préfiguration dune justice cosmopolitique, sous prétexte quelle peut directement juger des individus ? Il nous semble que lon peut arguer, a contrario, que le fait de sanctionner les individus est, en fait, une manière de ne pas sanctionner les États, ce qui constitue un mécanisme de protection pour eux. Il sagit, en somme, de sortir de la malédiction des après-guerres, consistant à devoir trouver des solutions pour redessiner les frontières et modifier la carte des relations internationales. Sanctionner les criminels de guerre, isoler juridiquement les dirigeants par rapport à leurs peuples et par rapport à leurs États et leurs territoires, cest éviter de toucher à la carte du monde. Cest, en fait, consolider le statu quo inter-étatique, pour que les relations internationales puissent, de part et dautre du conflit, reprendre dans une forme de continuité. Là où lon croit voir un changement de paradigme vers un au-delà de linter-étaticité, il sagirait donc, au contraire, dun dispositif de préservation du schéma inter-étatique existant. Le raisonnement de Pratt est basé sur lidée que la structure inter-étatique mondiale est dores et déjà constituée, et que lon pourrait regarder vers son dépassement. Or, on peut arguer quil faudrait déjà que fût constitué ce que lon prétend dépasser. Une dynamique historique complexe a vu le passage dune structure inter-dynastique à une structure inter-nationale, avec le développement des États modernes, entre le XVIe et le XIXe siècle. Puis dune structure inter-impériale à une structure proprement inter-étatique au XXe siècle, en particulier avec la décolonisation. Le standard interétatique européen est alors devenu un standard interétatique mondial. Celui-ci a trouvé sa formulation juridique dans lAssemblée Générale de lONU, basée sur la représentation dune carte du monde homogène, répartie entre États selon le principe d« égalité souveraine » (article 2-1 de la Charte de lONU). Or ce processus nest pas achevé : le découpage homogène du monde en États est incomplet. Et cest un processus dynamique, cest-à-dire quil obéit à une logique dauto-confirmation. Valéry Pratt lui-même ne dit pas autre chose, lorsquil dit que « la mise en uvre dun droit et dune justice cosmopolitique passe donc dabord par des réformes économiques et sociales qui permettraient aux différents États davoir les mêmes attentes normatives » (p. 234). Il y a là, nous semble-t-il, une claire perception que le processus de standardisation, à léchelle mondiale, des États est loin dêtre abouti malgré lillusion normative quen donne la structure de lAssemblée générale des Nations Unies. De telles remarques ne relèvent pas dun supposé « réalisme schmittien » qui tiendrait pour indépassable la dimension conflictuelle de la politique. Elles nous amènent plutôt à souscrire à la proposition de Pratt : « Ce qui importe cest la juridicisation des rapports de force, et non linstitution dun pouvoir souverain » (p. 254) Cette juridicisation passe par la possibilité didentifier clairement les acteurs de la politique internationale. Elle confirme la nécessité de la robustesse des identités étatiques, plutôt que celle de leur dissolution. La forme-État nest pas, en tant que telle, synonyme de nationalisme impérialiste et de guerre sans fin. Elle est, aussi, une garantie contre les guerres civiles internes, contre les impérialismes, ouverts ou économiques ; elle a été le ressort de la décolonisation loin dêtre simplement « la forme que leur avait imposée le colonisateur » que « les peuples qui revendiquaient le droit à disposer deux-mêmes se sont trouvés symboliquement contraints de perpétuer » (p. 163). Elle est aussi condition de possibilité dune définition de la responsabilité des États vis-à-vis de leurs engagements, de la dénonciation de fausses souverainetés, du prélèvement des impôts (des GAFA par exemple), de la coordination des États entre eux pour assurer les pressions et les actions nécessaires au maintien, tant bien que mal, de la paix. Le livre de Valéry Pratt souffre sans doute quelque peu davoir été écrit dans lattente de lélection de Barack Obama, et dêtre lu, aujourdhui, dans le contexte du mandat de Donald Trump et du Brexit. Les espoirs que lon pouvait placer dans un droit international délibératif se heurtent à lévidence dune nouvelle séquence de repli souverainiste. Faut-il rappeler, au demeurant, que la délibération nest pas toujours la clé de lapaisement des relations ? Car le conflit politique, tout comme le conflit théorique, bien souvent, ne naissent pas dune mauvaise compréhension entre les adversaires, mais de la juste compréhension de leurs conceptions divergentes. Valéry Pratt, Nuremberg, les droits de lhomme, le cosmopolitisme - Pour une philosophie du droit international, éditions Le bord de leau, Lormont, 2018, 215 p., 22 €. |
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