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Gabrielle Lefèbvre |
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Erasme, reviens, ils sont devenus fous! Un peuple civilisé, reconnu comme un des plus brillants, favori de l'Europe, sombre dans la violence en acceptant que son armée bombarde des enfants et des femmes emprisonnés dans la cage à ciel ouvert qu'est Gaza. L'Europe, championne des droits de l'Homme, se tait dans toutes ses langues. Erasme, premier européen en esprit, tu disais vers 1516, " Que les animaux s'attaquent entre eux, je le comprends, je les excuse en raison de leur ignorance, mais les hommes devraient reconnaître que la guerre en soi est obligatoirement injuste, car ordinairement elle n'atteint pas ceux qui l'allument et la déclarent mais elle pèse presque toujours de tout son poids sur les innocents, sur le pauvre peuple à qui ne profitent ni les victoires ni les défaites. Elle frappe la plupart du temps ceux qui n'y sont pour rien et même quand la guerre connaît le succès le plus heureux, le bonheur des uns n'est que dommages et ruines pour les autres. " La guerre ce n'est pas la justice. Ce n'est pas non plus le droit de l'un contre celui de l'autre car, disais-tu, " jamais un prince ne doit être plus circonspect que lorsqu'il est sur le point de se mettre en guerre, et il ne faut pas qu'il se prévale de son bon droit, car quel est celui qui ne regarde pas sa cause comme la bonne ? " Et tu soulignais, prophétique : " une guerre en amène une autre, d'une il en naît deux ". Te relire au moment où l'on commémore l'absurdité sanglante de la guerre 14-18, suivie de celle, encore plus meurtrière de 40-45, au moment où les bombes lancées par un peuple rescapé d'un génocide pleuvent sur des Palestiniens sans réelle défense, permet de mesurer le gouffre qui nous sépare de la sagesse. Toi qui fit l' " Eloge de la Folie ", sache qu'elle délire actuellement dans les médias de masse, sur les réseaux sociaux tout autant que dans les officines des ambassades, dans les cénacles parlementaires et dans les plus hautes instances que le monde s'est donné et censés contrer la guerre. Il y a 500 ans, tu prônais la paix, tu étais le premier penseur du pacifisme, tu as illuminé la pensée des Lumières qui sont le socle intellectuel et spirituel de l'Europe démocratique et éclairée. Tu as été le premier maillon de la longue chaîne qui a débouché sur la Déclaration universelle des droits de l'Homme. En lisant la profonde analyse que fit de ta vie Stefan Zweig, " Erasme, grandeur et décadence d'un idée ", je vois se lever Stéphane Hessel, collaborateur illustre de cette superbe Déclaration, véritablement universelle car elle rassemble toutes les valeurs sur lesquelles l'humanité dans sa diversité peut progresser. Stéphane Hessel, grand humaniste dont la flamme brille toujours malgré son récent décès, fut lui aussi attaqué, vilipendé, moqué parce qu'il défendait la paix. Il aurait pu te citer : " c'est à croire que c'est une grossièreté, une extravagance et une hérésie de parler contre la guerre ". Comme toi, il s'indignait avec les arguments de la raison, de la sagesse, de la concorde universelle. Il était président du Tribunal Russell sur la Palestine, un tribunal d'opinion qui reflétait ce que tu espérais avant tout : une pensée éclairée partagée par des citoyens instruits. Lors de la session de Barcelone, le 1er mars 2010, Stéphane Hessel exprima ainsi à quel point il était scandalisé " que les pays qui devraient défendre le droit international ne font pas respecter, pour la Palestine, les droits imprescriptibles figurant dans les textes internationaux. Nous agissons au nom du droit de chaque individu de faire pression sur les instances internationales afin de mettre en uvre les mesures pour faire appliquer la paix mais aussi les sanctions envers ceux qui ne respectent pas le droit et violent les prescriptions des Nations unies. Nous ne pouvons laisser impunis ceux qui violent ces droits. " A Londres, le 20 novembre 2010, il insistait aussi sur le fait que " chacun d'entre nous utilise son énergie pour aller là où il y a de l'espoir, notamment en soutenant le BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions), reconnu comme légitime au plan international et qu'aucun gouvernement ne devrait considérer comme une quelconque discrimination ". Tu le vois, Erasme, l'action de citoyens instruits a été rendue possible par des siècles de luttes pour la démocratie, ponctuées dramatiquement de guerres atroces, celles que tu avais prédites avec l'avènement violent de la réforme de Luther. A Cape Town, en Afrique du Sud, le 5 novembre 2011, Stéphane Hessell soulignait : " Nous sommes ici pour dire quelles violations des lois internationales sont commises contre le peuple palestinien depuis une soixantaine d'années, à la lumière de l'avis de la Cour Internationale de Justice, du droit humanitaire, des conventions des Nations Unies. Nous sommes des citoyens de divers pays. Ces violations doivent être connues et comparées à d'autres commises dans d'autres pays. Nous essayerons de déterminer quelles sont les intentions inhumaines de ségrégation et d'occupation à l'encontre du peuple palestinien. Le monde a besoin de savoir ce qui se passe dans ce Moyen Orient si important par son histoire, celle d'Israël, des Arabes, de la chrétienté, notre histoire à tous. Nous avons à travailler pour la Paix, la Solidarité, dans l'esprit de ce XXIe siècle. " Un XXIe siècle dont on aurait pu croire qu'il serait marqué par le triomphe de tes idées, Erasme de Rotterdam, citoyen d'une Europe que tu rêvais lumière d'un monde que l'on découvrait à peine. Une lumière mise sous le boisseau mercantile alors que ta philosophie avait imprégné l'esprit des fondateurs de l'Union européenne. Une Europe à présent impuissante face à sa mission de défense de la paix mondiale. Or, ce monde de XXIe s. est dévasté par des guerres menées par des " princes " qui peuvent être des grands marchands, des militaires, des financiers. Des puissants qui ont préféré suivre les principes de Machiavel plutôt que les tiens. Pour s'assurer de plus de puissance encore. Et ces princes asservissent l'esprit des hommes par la propagande, par le détournement de ce formidable moyen de connaissances que fut la presse grâce à l'imprimerie d'abord (celle que tu chérissais et qui a permis la diffusion incroyable de tes idées), grâce aux télécommunications ensuite jusqu'à l'internet aujourd'hui où l'on trouve tout et son contraire, où seuls des esprits éclairés par la réflexion, la sagesse - ta sagesse critique - peuvent démêler " le bon grain de l'ivraie ". La puissance des moyens de communication ne vaut rien sans la réflexion critique de ceux qui les utilisent. Et l'on en revient à ta pensée humaniste, basée sur l'idéal de paix. Car tu fus le premier internationaliste qui proclamait " Le monde entier est notre patrie à tous ". Une patrie pour laquelle nous voulons que le droit s'applique de même manière pour tous, riches et pauvres, puissants et dominés. Voilà pourquoi il faut que ce monde-patrie cite l'Etat d'Israël, comme tous ceux qui enfreignent le droit international, devant un tribunal pénal international pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Que les complices de ces violations soient poursuivis et tenus de réparer les injustices dramatiques subies par le " pauvre peuple ", les " innocents " que tu décrivais comme éternelles victimes des guerres, toujours injustes. Ces éternelles victimes de la folie des hommes. 04 août 2014 | Voir : Tribunal Russell sur la Palestine et Palestine Legal Action Network:http://www.russelltribunalonpalestine.com/en/ Livre : " Erasme. Grandeur et décadence d'une idée ", par Stefan Zweig. Le Livre de Poche n° 14019.
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