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Jacques Attali, ancien président de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement. avant une guerre mondiale plutôt qu'après ! |
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AF (Le Monde) : Jacques Chirac, Bill Clinton, Tony
Blair, Jacques Delors JA. - Il n'est pas nouveau. L'idée d'un serpent monétaire mondial est défendue par la France depuis longtemps. En 1984, j'ai développé cette solution devant le Congrès des Etats-Unis. AF. - En quoi le système monétaire mondial est-il bancal ? JA. - Les dernières crises asiatique et russe ont confirme que le FMI n'était pas à la hauteur d'un marché surpuissant. L'un et l'autre ne sont pas à la même échelle : le total des transactions monétaires mondiales dépasse les 1000 milliards de dollars par jour, c'est-à-dire plus que la somme des réserves des banques centrales de la planète, alors que le FMI pourrait, au mieux, mobiliser 30 milliards si la crise gagnait l'Amérique latine.
AF. - Etes-vous partisan d'appliquer la proposition de
James Tobin de taxer JA. - Au taux de un pour mille, une telle taxe rapporterait de quoi doubler le revenu du milliard de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour ! AF.- Est-ce que cela suppose de supprimer les institutions existantes ? JA. - Non. Les institutions actuelles doivent être conservées, mais il faut les renforcer en leur conférant une légitimité supranationale, ce que j'appelle un "gouvernement-monde". Il faudrait, pour cela, fusionner progressivement le comité intérimaire du FMI, le G 7 et le Conseil de sécurité et confier le produit des taxes mondiales dont je parlais au FMI. On peut alors espérer, au niveau mondial, la même évolution que dans l'Union européenne, où le Conseil des ministres s'est affirmé comme instance de décision. AF.- Cet embryon de gouvernement mondial n'est-il pas utopique ? JA. - Aucune des grandes puissances, à commencer par les Etats-Unis, ne veut entendre parler d'Institutions réellement supranationales, parce qu'elles remettraient en cause la souveraineté virtuelle des pauvres et l'impérium très réel des riches. AF. - Vos projets de taxes mondiales ne sont-ils pas
encore plus utopiques JA. - Evidemment, je ne pense pas qu'on créera ces taxes demain matin ! Regardez le temps qu'il a fallu pour instituer un revenu minimum : plus de deux siècles se sont écoulés entre la première loi britannique adoptée à ce sujet en 1760 et nos RMI. AF. La difficulté sera de faire payer ces impôts à l'ensemble du monde ! JA. - Il faudra décréter que les pays réfractaires aux prélèvements fiscaux décidés à l'échelle mondiale perdront le droit de siéger dans les instances politiques et économiques planétaires. AF.- Que faites-vous d'un bateau naviguant hors des
eaux territoriales JA. - Un bateau ou les Îles Vierges peuvent, c'est vrai, servir de paradis fiscal. Il sera donc nécessaire de mettre en place, là encore, une coercition que seule une autorité politique supranationale aura la légitimé d'exercer. Internet exigera des normes spécifiques. AF.- Etes-vous optimiste sur la possibilité de
faire progresser cette JA. - Non, car les esprits n'y sont pas prêts. Si l'urgence de la crise était trop forte, les responsables pareront au plus pressé et ne résoudront rien au fond. A l'opposé, si les soubresauts asiatiques ou russes leur donnaient l'impression de s'apaiser, il se rendormiront. si la situation reste à mi-chemin de ces deux extrêmes, elle deviendra propice à l'ouverture de ce chantier gigantesque. Propos recueillis par Alain Faujas |
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