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Fédérer l'Europe - réformer l'ONU Texte préparé pour l'hommage à Albert Camus - Sénat 14 janvier 2014 - ce texte au format pdf |
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Jean-Francis Billion Vice-président
de lUEF France Introduction Je tiens à remercier, outre notre hôte Monsieur le Sénateur Joël Labbé, les responsables de lAssemblée des Citoyens du monde, en particulier Marie-Françoise Lamperti et Daniel Durand, qui mont invité à prendre la parole. Enregistré comme Citoyen du monde, en 1967, je suis depuis la même époque militant fédéraliste et je considère le fédéralisme comme la recherche obstinée de la paix avec la conviction que seules des institutions politiques internationales ad hoc (fédérales et démocratiques) pourront permettre de la réaliser et de la conserver au niveau régional comme au plan mondial. Ce combat ne sachèvera en effet quavec lavènement de la Fédération mondiale. Dès avant les deux conflits mondiaux du vingtième siècle des mouvements fédéralistes sont apparus sur divers continents. Mais cest à la fin de la seconde guerre mondiale, en septembre 1947, que deux congrès fédéralistes internationaux se réunissent à Montreux, en Suisse : le premier congrès statutaire de lUnion des fédéralistes européens (UEF), créée à Paris après la Libération, et le Congrès constitutif du Mouvement universel pour une confédération mondiale, aujourdhui le World Federaltst Movement (Mouvement fédéraliste mondial, en français). Avant de revenir durablement à Camus, et à son rapport au fédéralisme, je voudrais finir de cadrer mon intervention avec une citation de Mario Albertini, ancien Président de lUEF-Europe, et Directeur de la revue Il Federalista de Pavie, définissant ce quest la paix, qui ne doit pas être confondue avec labsence momentanée de la guerre, cest-à-dire avec la trêve. La paix perpétuelle, kantienne, représente « laspect de valeur » du fédéralisme, aux côtés dun « aspect de structure », la théorie de LEtat fédéral, due à Alexander Hamilton et aux Pères de la Constitution américaine, et dun « aspect historico- social », basé autour de la théorie marxienne du matérialisme historique en tant que méthode danalyse scientifique de lévolution du cours de lhistoire. Pour Albertini, «La paix ne doit pas être confondue avec le pacifisme des Etats (ONU), des partis (internationalisme) ou de la conscience individuelle (conceptions religieuses, morales ou psychologiques). La paix cest lorganisation du pouvoir qui transforme les rapports de force entre Etats en véritables rapports juridiques. En tant que telle, la paix demande, de manière spécifique, lélargissement de lorbite du gouvernement démocratique dun seul pays à une pluralité de pays. Lidée fédéraliste de la répartition du pouvoir politique dépend donc de lidée même de la paix. Lobligation de reconnaître les conditions historiques et sociales qui permettent de linstaurer, et de la maintenir, dans une partie du genre humain ou dans lhumanité toute entière en découle ». La lutte pour la démocratie internationale. Depuis la fin des années 1940 lon peut schématiquement diviser lhistoire des diverses branches du mouvement fédéraliste international en plusieurs périodes, dépendant largement des conditions de la politique mondiale : naissance et élaborations stratégiques (années 1940 et début des années 1950), guerre froide et glaciation internationale (1955 à la fin des années 1960), démocratisation des institutions européennes et modifications de lassiette mondiale du pouvoir (années 1970 et 1980), enfin, développement de la mondialisation et du rapprochement des diverses tendances du mouvement fédéraliste international. Durant toutes ces années, les mouvements fédéralistes, quils soient dobédience « régionaliste » (européenne, africaine, latino-américaine ), voire un temps « atlantiste » ou « mondiale », quils appartiennent aux groupes sus-mentionnés, ou soient à leurs flancs, des organisations « périphériques » (comme les Citoyens du monde, ce terme nétant bien évidemment pas péjoratif), ont souvent suivi des approches similaires (appel au peuple « constituant », « élections primaires » et non officielles, appel aux Etats pour la signature de pactes fédératifs, approches « fonctionnalistes » ou « parlementaires. » ) et ont su conserver leurs racines culturelles communes, la «culture de la paix» (le fédéralisme) opposée à la «culture de la guerre» (le nationalisme, selon Albertini. Même dans les moments, comme la période de la guerre froide où ils sopposaient sur le plan stratégique ou, dans le meilleur des cas, signoraient superbement. Ainsi sexplique que la fin des années 1980 et le début des années 1990 aient permis aux diverses familles fédéralistes internationales de se rejoindre et dapprendre progressivement à travailler de concert à leur but ultime : la paix par le droit, cest-à-dire la Fédération mondiale. Fédérer lEurope - Albert Camus et le Comité français pour la Fédération européenne En juin 1944, peu avant le départ des Allemands, le Comité Français pour la Fédération Européenne (CFFE) rend publique son existence à Lyon. Il diffuse une « Déclaration » et adopte un « Manifeste » et un « Projet de travail concret ». Il se présente comme un « organe » du Mouvement de libération nationale (MLN). Lun de ses principaux responsables est André Ferrat, ancien haut responsable exclu du parti communiste (PC) en 1936, deux ans après avoir fondé une revue oppositionnelle, Que Faire ?, qui paraîtra jusquen 1939. Il anime aussi, sous le même nom un mouvement, clandestin au PC et officiel à lextérieur, regroupant anciens communistes, ex-trotskistes ou socialistes de gauche , français ou étrangers, dont plusieurs se retrouvent parmi les animateurs du CFFE, puis du (premier) Comité International pour la Fédération Européenne (CIFE) et enfin du Comité pour une Fédération Européenne et Mondiale (CFEM) qui prend leur suite en 1946. Le Manifeste revendique le rôle du MLN comme « avant-garde du peuple français dans la lutte contre loppression nazie », revendique « le droit de participer à lédification de la paix et de lEurope de demain », décide de créer « dans son sein un CFFE » et énumère les « tâches immédiates à accomplir ». La Déclaration, rédigée en particulier par Ferrat, Gilbert Zacsas (ancien du PC et de Que Faire ?) et Camus, signale que « depuis de longs mois la propagande en faveur dune fédération européenne est commencée dans plusieurs des principaux journaux clandestins de la Résistance en France, en Belgique, en Hollande, en Pologne, en Norvège ; que lidée dune Europe libérée et fédérée unit nombre de militants antifascistes allemands » ; que le mouvement sest organisé en Angleterre et quun comité de liaison sest créé en Suisse ; enfin, quen Italie, il groupe « de nombreux militants antifascistes , enfin libérés des prisons et des îles » (lallusion à Altiero Spinelli et Ernesto Rossi, les principaux auteurs du Manifeste de Ventotene, pour une Europe libre et unie, en 1941 est ici limpide) et que « en France, des militants membres des principaux courants ou mouvements de la Résistance décident de créer le CFFE ». Elle résume les « idées fondamentales » : en particulier, « 1 / impensable de reconstruire une Europe prospère, démocratique et pacifique, sous la forme dun assemblage dEtats souverains, séparés par leurs frontières politiques et douanières ; 2 / toute tentative dorganiser la prospérité, la démocratie et la paix par une Société des Nations du type dune ligue dEtats est vouée à la faillite ; 3 / lEurope ne peut se développer dans la voie du progrès économique, de la démocratie et de la paix que si les Etats nationaux se fédèrent et remettent à lEtat fédéral européen : lorganisation économique et commerciale , le droit davoir seul une armée et dintervenir contre toute tentative de rétablissement de régime autoritaire, la direction des relations extérieures, ladministration des territoires coloniaux , la création de la citoyenneté européenne en plus de la citoyenneté nationale » ; 4 / « les gouvernements nationaux ne seront subordonnés au gouvernement fédéral que lorsquil sagira de questions intéressant lensemble des Etats fédérés » ; 5 / « le Mouvement entend sappuyer sur les mouvements nationaux qui luttent pour la justice économique et sociale, contre loppression politique, pour le libre et pacifique établissement de leur génie national spécifique ». Le texte, aussi, « met en garde contre lillusion » des « patriotes démocrates, socialistes, communistes (qui) pensent souvent que ces buts doivent dabord être atteints dans chaque pays séparément et quen fin de compte surgira une situation internationale dans laquelle tous les peuples pourront fraterniser » et déclare que « lordre de ces buts est exactement inverse La Fédération européenne est le premier des buts que doivent se fixer les éléments patriotes démocrates, socialistes et communistes » ; enfin, 6 / « le Mouvement pour la Fédération européenne repousse lopinion suivant laquelle il convient de remettre à plus tard létude de ces questions sous prétexte quil sagit uniquement aujourdhui de combattre pour la libération nationale ». Le CFFE affirme enfin la nécessité que ces tâches soient menées conjointement, « sinon, comme en 1919, une organisation réactionnaire de lEurope risque dêtre imposée aux peuples ». Le CFFE a été, daprès Ferrat, précédé par un Comité clandestin début 1944 mais il a probablement des racines plus anciennes, et à partir de quand ses futurs fondateurs, ou certains dentre eux, se sont-ils intéressés concrètement à lidée fédéraliste européenne et mondiale ? Les informations laissées par Ferrat tiennent en quelques lignes dans un curriculum vitae et une note pour le Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier. Dans le premier document, il précise que, « (il) fonde et dirige La Revue libre, en été 1943 , fonde avec Pia, Baumel, Maurice Guérin, etc., le Comité clandestin pour la fédération européenne (début 1944), organise le contact avec les organisations de Résistance étrangères par la Suisse » ; dans le second il ajoute que, « pendant le premier semestre 1944, avec un groupe de membres du MLN dont F-T (Franc-Tireur) faisait partie, il créa le Comité français pour la fédération européenne, en liaison avec le MFE (Movimento Federalista Europeo) fondé à Milan en août 1943 par des Résistants italiens ». Toutefois, Une lettre de Léo Valiani, ancien compagnon de prison de Spinelli à Rome, responsable du PC italien puis membre de Que Faire ?, à Spinelli plaide pour lexistence dune activité fédéraliste de Ferrat antérieure. Valiani écrit qu « il serait intéressant que tu puisses retrouver la trace -pour le congrès fédéraliste- du directeur de la revue (Que Faire ?), André Ferrat, un Français, actuellement peut-être membre du Parti socialiste, qui il y a un an tentait de te contacter ; je ne sais pas sil y a réussi ». Cette lettre de début janvier 1944 établit que, début 1943 ou fin 1942, Ferrat, voire dautres avec lui, avaient commencé une action fédéraliste et essayé de contacter Spinelli. Il est probable que ce petit groupe était pour partie issu de Franc-Tireur et de La Revue libre dont Ferrat et ses proches étaient chargés. Cest sans doute dans le processus de rapprochement entre les organisations de Résistance aboutissant à la fondation des MUR (automne 1942) puis à celle du MLN (décembre 1943) que Jacques Baumel, tenté par le PC puis gagné par le gaullisme, Pascal Pia, proche des milieux libertaires, ou Maurice Guérin, démocrate-chrétien, dautres encore le rejoignent. Dautres anciens de Que Faire ? également : Zacsas, au nom du mouvement toulousain Libérer et Fédérer, puis après le rapprochement des deux mouvements du mouvement lyonnais fédéraliste proudhonien LInsurgé ; Pierre Rimbert, au nom de Libertés quil a fondé à Paris dès larrivée des Allemands avec dautres membres de Que Faire ?, dont Pierre Lochac. Les Suisses Robert Bondy, ancien de Que Faire ?, et René Bertholet, lié à la Résistance allemande émigrée et aux services secrets alliés, assurent les contacts extérieurs de la Résistance puis du CFFE via Genève où Jean-Marie Soutou, membre de la Représentation de la France libre et lié avant-guerre aux milieux fédéralistes et personnalistes chrétiens, participe aux réunions fédéralistes de Genève de 1944 initiées par Spinelli et Ernesto Rossi. Rappelons enfin, pour en revenir plus directement à Camus, que cest dans La Revue Libre quil publie la première de ses Lettres à un ami allemand. Et à quelle époque Albert Camus sest-il impliqué dans le CFFE ? Ferrat ne le mentionne à lorigine du CFFE, par contre il est possible quils se soient connus à Alger quand Ferrat y va en tant que responsable du PC pour les questions coloniales (1934-1935) et que Camus est chargé par le PC « de la propagande parmi les Arabes ». Ferrat connait-il alors lintérêt de Camus pour le fédéralisme ? Cest possible. Je pense aussi que Pascal Pia, intellectuel de sensibilité libertaire, ami de Camus à Alger où ils ont collaboré avant-guerre au journal Alger républicain a pu être le lien originel entre lui et le CFFE ; mais, quels antécédents peuvent-ils éclairer cet engagement ? Lorsque Pia vient diriger le quotidien créé par la gauche locale, Alger républicain (été 1938), Camus, devient son collaborateur avant de prendre la rédaction en chef. Cest là, et dans léphémère Le Soir républicain créé par Camus à la suite, que sont publiés une série de sept articles (avril 1939 à janvier 1940). Ces textes, signés de Camus ou de divers pseudonymes, sont parfois co-signés par Pia. Dans trois le fédéralisme est présenté comme la solution pour créer après-guerre un nouvel ordre politique international démocratique, juste et stable. Ces prises de position culminent avec un texte commun, « Profession de foi », en réponse à une attaque du journal Lémancipation nationale du Parti populaire français de Jacques Doriot. Dans une brillante intervention à Lourmarin, lors des « XXVIIèmes Journées Méditerranéennes Albert Camus, le chercheur italien Alessandro Bresolin donne dautres précisions importantes sur le fédéralisme de Camus. Son intérêt pour lEspagne, pays dorigine de sa mère : le caractère fédéral de la République espagnole, le socialisme-libertaire catalan et les travaux de Pi y Margall ou Francisco Ferrer ; ses contacts à Alger avec le juriste Robert-Edouard Charlier dont il a commenté plusieurs conférences dans Alger Républicain et avec qui il a rédigé, avec Pia, divers articles sur la guerre en 1939 dans Le Soir républicain ; sa rencontre à Alger, en 1941, avec Nicola Chiaramonte, collaborateur des Quaderni di Giustizia e Libertà et très lié avec les milieux exilés antifascistes et peut-être même avec Silvio Trentin, principal « inspirateur » de Libérer et Fédérer à Toulouse. Rentré en métropole, Pia sinstalle à Lyon (fin 1940), intègre Combat (début 1942) avant dêtre appelé à Paris comme Secrétaire général adjoint des MUR (été 1943) et de parcourir la Zone sud pour y installer des Comités départementaux de libération (début 1944). Pia amène Camus à rejoindre Combat puis lui demande de le remplacer à la direction de son journal clandestin. Fin 1943, Camus, malade et installé dans la Haute-Loire, sengage dans la résistance active et rejoint Combat fin 1943. Son engagement, y compris au CFFE, est indissociable de la publication des Lettres à un ami allemand, les plus importants de ses écrits clandestins dont la troisième oppose deux visions de lEurope : celle des nazis ou de la collaboration, et celle humaniste de la Résistance. La première paraît dans le numéro 2 de La Revue libre (février 1944), la seconde dans les Cahiers de Libération (début 1944), la troisième destinée à La Revue libre ne peut paraître avant la Libération et sort dans le numéro 58 de lhebdomadaire issu de la Résistance, Libertés, enfin, la quatrième paraît en 1944 chez Gallimard, là encore après la Libération. Camus, enfin, sollicité par Spinelli sur conseil de Ferrat durant un bref séjour à Lyon (début 1945), va être lun des promoteurs de la Conférence fédéraliste de Paris de mars 1945. La Conférence convoquée par une invitation signée de Camus, « pour le Comité dorganisation », sur en-tête du CFFE, en date du 19 mars 1945. « Monsieur et cher camarade, afin de réunir les expériences des fédéralistes des différents pays et de confronter leurs points de vue pour élaborer une politique fédéraliste commune, le CFFE organise une Conférence internationale du 22 au 24 mars La première séance aura lieu le jeudi 22 mars Ordre du jour : Rapport général du CFFE, Politique des mouvements démocratiques en vue de la fédération européenne, Problèmes économiques de lEurope fédérale, problème allemand, rapport sur le problème colonial ». Cette lettre était accompagnée de la liste des personnalités invitées à participer. La Conférence voit la transformation du CFFE en CIFE. Albert Camus et Altiero Spinelli, entre autres, sont, membres de son Secrétariat dirigé par Francis Gérard Kumleben, allemand anti-nazi et ancien secrétaire du CFFE, qui rend possible la réunion fédéraliste internationale de Hertenstein de lautomne 1946 en permettant le lien entre les fédéralistes suisses et hollandais. Le CIFE y est représenté, de même quà celle de Luxembourg organisée par la Federal Union britannique puis à celle qui prépare la fondation de lUnion des Fédéralistes européens (UEF) dans les locaux du mouvement La Fédération en décembre 1946. Le CIFE, par la suite transformé en CFEM sera représenté à Montreux en septembre 1947 où se réunissent en parallèle lUEF et le MUCM. Les mouvements fédéralistes européens et mondiaux de laprès-guerre sont alors créés. Leurs héritiers actuellement sont lUEF Europe et le World Federalist Movement. Le refus d'obéir à la violence - Albert Camus, l'Algérie et le fédéralisme Je ne peux résister au plaisir de mintéresser aussi trop brièvement ici à Camus et le fédéralisme à propos de lAlgérie. En effet, si je ne connais que peu cet aspect de son uvre, Alessandro Bresolin a également publié un article dont je reprends ici le titre et, dans le désordre, quelque trop peu nombreux éléments. Le Front populaire et labandon du Projet Violette La victoire du Front populaire en France en 1936, ouvre une période de grande espérance pour ceux qui souhaitent de profondes réformes démocratiques en Algérie. Camus est parmi les initiateurs du « Manifeste des intellectuels dAlgérie en faveur du Projet Violette » qui prévoit la concession des droits civils et politiques à une élite arabo-musulmane de quelques 60.000 personnes. Mais cette réforme, vue comme un premier pas dans « l'émancipation parlementaire intégrale des Musulmans », nest pas approuvée à cause de la dure réaction de la droite et des lobbies coloniaux. Avec la chute du Front populaire disparaît lespérance de réformes en Algérie et le ressentiment se coagule alors autour de la figure de Messali Hadj, fondateur en 1937 du Parti du Peuple Algérien (PPA) dont le programme montre une importante évolution politique par rapport au populisme de ses débuts ; on y soutient la nécessité de faire évoluer les rapports avec la France sous une forme fédéraliste. « Le Parti du Peuple Algérien travaillera pour l'émancipation totale de l'Algérie, sans pour cela se séparer de la France. [ ] L'Algérie émancipée, en bénéficiant des libertés démocratiques qu'elle aura acquises au cours de son action, en ayant ainsi une autonomie administrative, politique, économique, s'intégrera librement dans un système français de sécurité collectif dans la Méditerranée. » Camus naccepte pas la criminalisation de Messali Hadj par ladministration et prend sa défense lors de son procès. Ces positions vont lexposer à lhérésie politique et à lexclusion du PC. Camus connait et apprécie les militants messalistes et en 1939, à la suite des élections des 23 et 30 avril, gagnées par un candidat du PPA, il les commente comme suit : « Pour la première fois dans l'histoire de l'Algérie, un prolétaire arabe, représentant un parti qui demande pour la colonie le statut de dominion, va participer aux travaux d'une assemblée officielle. Le reportage « Misère de la Kabylie » et le fédéralisme Ses réseaux parmi les militants arabes permet à Camus dorganiser le voyage qui lamène à écrire le reportage « Misère de la Kabylie » publié sur Alger républicain en juin 1939. Rapportant les revendications des porte-parole des communautés locales, Camus propose lextension de lune des rares réformes mises en place en 1937 qui avait permis à un certain nombre de communes de passer sous administration directe des autochtones. « Ainsi se trouverait réalisée au cur du pays kabyle une sorte de petite république fédérative inspirée des principes d'une démocratie vraiment profonde. Et une vue si lucide des choses, un bon sens si remarquable m'apparaissait, en écoutant le président des Oumalous, comme un exemple pour beaucoup de nos démocrates officiels. » Transformer la Kabylie en une entité autonome et fédérée avec une Algérie, à son tour fédérée à la France, afin de garantir les diversités sociales, comme celle du peuple berbère, doté dune langue et d'une culture propres, signifie pour Camus réparer un dégât du colonialisme : « Car ce statut c'est nous qui l'avons imposé aux Kabyles en arabisant leur pays par le caïdat et l'introduction de la langue arabe. Et nous sommes mal venus aujourdhui de reprocher aux Kabyles cela même que nous leur avons imposé. » 1956, l « Appel de Camus à la trêve pour les civils » et le fédéralisme dans le cadre de lUnion française Bresolin nous rappelle aussi que, « Quand il décida en 1956 de lancer à Alger son Appel à la trêve pour les civils, les autorités lui refusèrent les salles quil demandait alors quà lextérieur des milliers de militants de la droite française scandaient des slogans en faveur de la répression aux cris de « A mort Camus ! ». Ce dernier a aussi lancé dans le cadre dune éventuelle organisation fédérale de lUnion Française regroupant la métropole à tout ou partie de ses colonies, une proposition qui leur semble hors de propos, quasiment sacrilège : « Alger capitale fédérale » ; « Puisque la modification de la Constitution est envisagée en ce qui concerne l'Union Française, il faut en profiter pour préparer la Fédération française, lui donner ses institutions, prévoir l'installation à Alger du Parlement fédéral où toutes les terres de la Fédération enverraient leurs représentants. L'Assemblée algérienne, comme les Parlements des autres pays fédéraux, recevrait compétence pour l'administration interne, tandis que le Parlement fédéral, où l'Algérie serait encore représentée, aurait à régler tous les problèmes concernant la Fédération. ». Camus, lui, était convaincu quune telle réforme aurait pu éviter la guerre et, pour Bresolin, sa propension à une politique démocratique et fédéraliste pour lAlgérie était laboutissement naturel dune « sensibilité politique socialiste et libertaire responsable, remontant aux années de sa formation ». Camus, Garry Davis et la citoyenneté mondiale Vous mexcuserez ici, mais dans une assemblée organisée par les Citoyens du monde et où je pense que leur nombre domine lassistance, je crois pouvoir mentionner plus rapidement le soutien de Camus au combat de Garry Davis dans le Paris des années 1948 et 1949, à lissue de la seconde guerre mondiale et alors que progressivement il allait sintéresser et simpliquer moins dans les activités issues du CFFE et du « fédéralisme de la Résistance ». Durant un temps, il va par contre simpliquer dans le soutien à Garry Davis dans son combat pour la Citoyenneté mondiale. Je peux par contre vous renvoyer à un article récemment publié dans Fédéchoses à loccasion du décès de Garry Davis avant que Daniel Durand, en point dorgue et en clé de voûte de cette après-midi dhommage, ne vous lise le texte de la Déclaration, connue sous le nom de Déclaration dOran, quil avait rédigée et qui avait été lue par Robert Sarrazac au nom de Davis devant lAssemblée générale des Nations unies réunie au Palais de Chaillot. Comment continuer les combats de Camus aujourdhui, pour fédérer lEurope et réformer lONU ? Pour conclure, je voudrais seulement dire quelques mots des principaux programmes daction des mouvements fédéralistes aujourdhui au plan européen et mondial. Au plan européen, les fédéralistes sont actuellement engagés dans la préparation des élections européennes du 25 mai prochain afin de ne pas laisser la place libre aux nationalistes et souverainistes de droite comme de gauche en cette période de crise de lintégration européenne. LUEF France a également, pour sefforcer damener les citoyens aux urnes, décidé de privilégier dans son activité le soutien à une Initiative citoyenne européenne (ICE) « Pour un plan européen de développement durable et pour la création demplois ». Ce projet a été soumis pour validation à la Commission européenne et nous espérons pouvoir lancer la récolte dun million de signatures dans un minimum de 7 pays membres de lUnion européenne avant la mi-mars. Par ailleurs lUEF insiste sur lapport du Traité de Lisbonne qui a prévu que dorénavant le Président de la Commission européenne nommé par le Conseil européen des chefs dEtat et de gouvernements devrait être le candidat désigné par la coalition majoritaire au sein du nouveau Parlement européen. Cest pourquoi ils insistent pour que les partis politiques européens désignent leur candidat à la Présidence de la Commission afin de permettre aux électeurs deffectuer leur choix en connaissance de cause. Au-delà lUEF demande la réunion après les élections européennes dune Convention constitutionnelle composée de parlementaires européens et nationaux comme de représentants de la société civile. Un éventuel projet constitutionnel devrait ensuite être validé par un référendum européen avec une règle de double majorité des Etats et des citoyens et rentrer en application au sein des seuls pays layant ratifié. Au plan mondial les fédéralistes se concentrent également sur divers sujets dans le cadre dune stratégie gradualiste de renforcement et de démocratisation des Nations unies et partant de la vie politique internationale. Nous en citerons deux. Le soutien à la Cour pénale internationale, en particulier pour la protéger de la tentative de reprise en main politique de certains gouvernements, comme nous lavons vu à loccasion du récent Sommet dAddis Abeba de lUnion africaine puis de la dernière réunion de lAssemblée des Etats parties de La Haye en novembre. Les fédéralistes luttent depuis le Procès de Nuremberg pour la justice internationale à la fin du dernier conflit mondial ; plus récemment cest le Directeur exécutif du World Federalist Movement, laméricain Bill Pace qui a mis sur les Fonds baptismaux il y a 18 ans la Coalition internationale des ONG pour la Cour criminelle internationale (CICC, en anglais) dont le WFM assure depuis lors le Secrétariat. Enfin, la Campagne pour la création dune Assemblée parlementaire des Nations unies (UNPA, en anglais), comme étape vers la création dun Parlement mondial, impulsée aujourdhui depuis Francfort par Andreas Bummel animateur du Committee for Democratic UN (KDUN, en allemand) et visant comme première étape, et sans nécessiter de réforme de la Charte de San Francisco, la mise en place auprès de lAssemblée générale de lONU dune assemblée consultative composée de parlementaires nommés par les parlements nationaux. Au côté de cette action et en étroite symbiose avec elle sest déroulée il y a quelques semaines la première semaine daction pour un Parlement global, sous le slogan « A World Parliament now ! » avec différents types dactions menées sur quelques jours seulement dans 55 villes de 5 continents. La seconde semaine pour un Parlement global se tiendra en octobre prochain à laquelle nous aimerions vous associer. Les fédéralistes pensent être, par ces diverses actions, dans la droite ligne de luvre, de la vie et des enseignements dAlbert Camus et parfaitement complémentaires avec dautres telles que les élections au Congrès des peuples menées par les Citoyens du monde. Jean-Francis Billion |
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