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par Michel Mouskhely |
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Si le fédéralisme réussit la conciliation du général et du particulier, sil réalise 1« unité dans la diversité », sil accomplit ce véritable miracle de tirer du jeu des oppositions quil respecte la source du bonheur et de la civilisation, cest quil dispose dune technique particulière conforme à son génie et respectueuse de ses exigences. Il fournit donc lui-même les moyens de sa propre réalisation et contient en soi ses principes dorganisation qui sont :
Lappareil technique du fédéralisme est aussi complexe et aussi souple que le principe lui-même. Examinons-le de plus près. A. Lautonomie constitutionnelle des Etats membres Le plus souvent, ce sont des communautés politiques indépendantes qui décident de se fédérer. Naturellement, en sunissant, elles ne désirent pas renoncer à leur individualité et, pour cela, elles conservent leur organisation politique et se réservent le droit, de la modifier à leur guise. Dans toute association fédérative, les États membres possèdent ainsi lautonomie constitutionnelle, cest-à-dire le droit de se donner librement une constitution et celui de la modifier librement. Il sagit là dun droit qui nappartient quaux collectivités membres dune Fédération ; il est refusé à une collectivité administrative décentralisée et à une province autonome dont le statut constitutionnel est loeuvre de lÉtat dont elles font partie. Lautonomie constitutionnelle implique lautonomie tout court : chaque État membre a son propre pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. Aucune différence essentielle ne sépare lorganisation des États membres dune Fédération de celle dun État unitaire indépendant. La preuve en est que si daventure le lien fédéral venait, à se briser, les États membres pourraient reprendre leur vie indépendante sans être obligés de se donner une nouvelle organisation politique. On ne saurait en dire autant dune commune ou dune province autonome. Lautonomie constitutionnelle implique aussi le droit de décider en dernier ressort. Dans les limites de la constitution fédérale, les gouvernements des collectivités membres prennent des décisions définitives et souveraines. Sans doute, leurs décisions restentelles soumises à un contrôle, mais il sagit dun contrôle de légalité, en particulier par rapport à la constitution fédérale, jamais dun contrôle dopportunité. Le même contrôle sexerce sur les décisions de lautorité fédérale ; il est inséparable de tout système fédératif. Bien évidemment, lautonomie constitutionnelle nest pas absolue. Si elle létait, il ny aurait pas de fédéralisme. Le fédéralisme, ne loublions pas, est la conciliation des contraires. Aussi, lunion impose-t-elle quelques limitations à la liberté constitutionnelle de ses membres. En règle générale, la constitution fédérale contient des prescriptions obligatoires pour les constitutions particulières. Elle leur impose un minimum de principes politiques communs sans lacceptation desquels aucune fédération ne pourrait subsister. Il en résulte la possibilité pour celle-ci, en révisant sa propre constitution, dobliger les membres à modifier la leur. En compensation de ce modeste sacrifice, la Fédération protège et garantit le régime politique de ses membres. Ainsi, lautonomie constitutionnelle, encore que réduite dans son étendue, se trouve en définitive consolidée et renforcée. B. La superposition des institutions gouvernementales Lunion, qui respecte lindividualité de ses membres, suppose nécessairement lexistence dune double organisation gouvernementale : les institutions gouvernementales fédérales se superposent aux institutions gouvernementales nationales. Sans doute, la superposition des institutions gouvernementales ne se rencontre pas seulement dans une union fédérale. Dautres systèmes internationaux comme la vassalité, le protectorat et la tutelle internationale -pour ne citer que les plus importants- la connaissent également. Mais, dans le système fédératif, elle accuse des traits particuliers, profondément différents de ceux quon trouve ailleurs. Ici, on institue un corps nouveau de gouvernants et dagents, spécial à la Fédération et affecté exclusivement au gouvernement et à ladministration de celle-ci. Le gouvernement fédéral reste distinct des gouvernements nationaux, aussi bien dans sa structure organique que dans sa compétence matérielle. Là, ce sont au contraire les gouvernants des États intéressés -lEtat suzerain, protecteur ou tuteur- qui gouvernent et administrent les communautés protégées ou associées, et la communauté mixte. Ils cumulent ainsi dans leur personne la qualité des gouvernants nationaux et celle des gouvernants de lunion. La structure gouvernementale de lunion fédérative ne fait que traduire lesprit dégalité et de collaboration qui est à la base de toute Fédération. Elle le fait dautant mieux que les États membres participent étroitement à la constitution de certains organes du gouvernement fédéral. La participation est si importante que ni la formation, ni le fonctionnement de lautorité fédérale ne sont concevables sans lexistence autonome et séparée des États membres. Lorsque le lien fédéral est faible, lorganisation commune se réduit généralement à une assemblée commune, composée de représentants directs de ceux-ci. Lorsque, au contraire, il se renforce, elle se développe, se perfectionne et se rapproche de plus en plus de celle dun État unitaire, sans perdre pour autant ses caractères originaux. C. La participation des Etats membres à la formation de la volonté de lUnion Elle sen différencie principalement par la participation des Etats membres à laménagement et à lexercice du pouvoir fédéral. La loi de participation constitue, nous dit Georges Scelle, « le trait capital du fédéralisme : cest par lui quil est un droit de collaboration et non de subordination ».1 En quoi consiste cette participation ? Comment se réalise-t-elle ? Le pacte fédéral étant leur oeuvre, les États membres se réservent le droit de collaborer directement à sa révision. Ils entendent quaucune modification ne puisse lui être apportée sans lapprobation de tous, ou au moins dun grand nombre dentre eux. On comprend fort bien les raisons de cette exigence : le pacte fédéral reconnaît leur qualité dÉtat autonome, il leur octroie la liberté constitutionnelle, leur attribue des pouvoirs en dernier ressort ; il constitue par là la suprême garantie de leur existence. Si sa révision pouvait se faire en dehors deux, non seulement leurs pouvoirs pourraient être diminués, cest leur indépendance même qui serait menacée. Mais cette garantie ne leur suffit pas. Pour renforcer leur position, ils sattribuent encore le droit de collaborer à la constitution et au fonctionnement des organes communs. Suivant la force du lien fédéral, lorganisation commune sera plus ou moins tributaire des États membres : tantôt elle ne comprendra que des représentants directs de ceux-ci, cest le cas de lONU, par exemple ; tantôt, au contraire, comme dans lÉtat fédéral, les États ne seront représentés que dans certains organes. Mais de toutes façons, et quelle que soit la force de lUnion, ils auront leurs représentants dans lorganisation fédérale. La volonté de celle-ci sera donc faite, en tout ou en partie, de la volonté des États membres. La participation à la formation de la volonté de lUnion., expression métaphorique sans doute, marque pourtant cette réalité incontestable, quà la source de la volonté propre des organes fédéraux on trouve toujours lapport plus ou moins important des volontés individuelles des membres. D. La répartition des compétences Tout système fédératif, par le fait même quil admet lexistence des institutions politiques superposées, commande impérieusement la distribution des pouvoirs entre lUnion et ses membres. Assurément, la répartition des compétences est un procédé général de gouvernement et dadministration, commun à toutes les sociétés politiques. Elle joue cependant dans une société fédérative un rôle particulièrement important et se fait suivant une méthode originale. Il est donc permis dy voir un trait caractéristique du fédéralisme. Les procédés techniques de la répartition, dont se sert le régime fédératif, sont dune grande variété et souplesse. A la base, on trouve la distinction capitale entre la compétence de principe et la compétence dattribution. La première appartient aux Etats membres, la seconde à lautorité fédérale. Autrement dit, lUnion dispose seulement des pouvoirs qui lui ont été expressément et nommément reconnus par le pacte fédéral ; tous les autres pouvoirs rentrent par conséquent dans la compétence des Etats membres. Pareille répartition tout à lavantage des Etats, sexplique par leur répugnance à renoncer à leurs prérogatives. Forcés de sunir et de se soumettre à une autorité commune, du moins naccorderont-ils à celle-ci que des pouvoirs limitativement énumérés, juste ce quil faut pour réaliser le but de lUnion. Il sensuit quen raison de son caractère exceptionnel, la compétence de lautorité fédérale ne pourra pas aller au-delà des limites fixées par la constitution. Au contraire, les Etats étant investis dune compétence de principe, leur pouvoir sétendra à tous les objets, qui nont pas été formellement attribués à lUnion. En cas de doute, la compétence des Etats lemportera sur celle de la Fédération. Cette solution parait très avantageuse pour lautonomie des Etats membres. Il ne convient pas cependant den exagérer limportance. Tout dépend de la façon dont sont libellés les titres de compétence de lautorité fédérale : une définition large permettra toujours à la Fédération damplifier ses pouvoirs constitutionnels. Elle le fera dautant plus facilement que le développement et le renforcement du lien dassociation exigeront des mesures communes et justifieront son intervention. En plus de cette réglementation de principe et pour la compléter, on y ajoute le procédé de la compétence exclusive. La compétence exclusive soppose à la compétence concurrente. Lorsquune compétence est attribuée à titre exclusif, la matière qui en relève ne pourra être réglementée que par le titulaire de cette compétence. La compétence est-elle concurrente, elle appartiendra simultanément à lUnion et à ses membres ; il faudra seulement régler le conflit possible entre la législation fédérale et la législation nationale ; suivant la puissance du lien fédéral, la priorité sera reconnue tantôt à lune, tantôt à lautre. Il arrive également que le pacte fédéral se borne à attribuer à la Fédération le pouvoir de poser les principes généraux de la nouvelle législation et réserve aux Etats membres le soin de prendre toutes les mesures complémentaires nécessaires à leur mise en oeuvre. Il se posera alors une question délicate dinterprétation : les mesures complémentaires cadrent-elles avec les principes qui leur servent de base ? Sagit-il vraiment des mesures complémentaires ? Enfin, malgré leur compétence de principe, les États prennent soin parfois de se réserver formellement certains pouvoirs déterminés. Ce sont généralement ceux auxquels ils tiennent tout particulièrement et dont ils ne veulent à aucun prix être dépossédés. Même une révision de la constitution fédérale ne pourrait les en dépouiller sans leur consentement. E. Lexistence dune juridiction de caractère arbitral La diversité et la complexité des procédés de répartition des pouvoirs, lexistence de deux ordres de gouvernants, les interférences et les frictions inhérentes à tout système fédératif, susciteront inévitablement des conflits qui, sils ne trouvaient aucune solution pacifique, risqueraient à la longue de mettre en danger lexistence même de lUnion. Un mode de règlement pacifique des différends est dautant plus nécessaire que le pacte fédéral interdit rigoureusement tout recours à la force à lintérieur de la Fédération. Aussi ne manque-t-il jamais détablir une procédure judiciaire et un organisme spécial chargé de la conduire. Tout système fédératif postule lorganisation dune juridiction indépendante. La nature de la juridiction fédérale dépend du degré de cohésion de la société fédérative. La cohésion est-elle faible, les forces centrifuges encore trop puissantes et le particularisme encore très vivace ? LUnion se contentera dun système de règlement emprunté à la société internationale. Le pacte fédéral se contentera dimposer aux Etats membres le recours à la conciliation, plus souvent à larbitrage, leur laissera le soin de constituer le tribunal ou les obligera à porter leurs différends devant lautorité fédérale. Dans une association fédérative plus développée, le pacte instituera lui-même lorgane judiciaire. Ce sera la Cour suprême fédérale, composée de juges professionnels à la nomination desquels les Etats participeront avec le gouvernement fédéral. Le caractère arbitral déjà sensible dans la composition de la Cour, se marquera également dans la compétence qui lui sera reconnue. La Cour aura à juger tous les conflits qui pourraient survenir dans la Fédération, tant dans les rapports des Etats membres entre eux, que dans leurs rapports avec lautorité fédérale. Elle les réglera par application des dispositions du pacte fédéral dont elle deviendra linterprète en même temps que la gardienne. Cest elle qui assurera cette suprématie de la règle de droit, ici du pacte constitutionnel, qui est, nous lavons vu, lessence du fédéralisme. Son rôle est même plus important. Il lui incombera de suivre pas à pas les incessants changements qui se produiront dans les conditions politiques, économiques et sociales, afin dapporter à la constitution les modifications nécessaires. Dans ce travail délicat dadaptation et de transformation elle devra surtout sefforcer de rétablir, par une judicieuse harmonisation de divers intérêts en présence, léquilibre fédéral indispensable au maintien de lUnion. En vérité, on ne saurait exagérer limportance de la fonction que la juridiction fédérale est appelée à remplir dans une Fédération, Tels sont les divers rouages du mécanisme que le fédéralisme emploie dans la poursuite de ces fins. Il se modèle parfaitement sur les caractères les plus essentiels du principe fédératif et cest lun de ses aspects les plus remarquables. Avant tout, il en respecte lesprit et la dialectique. Lexistence et le balancement des termes contraires se traduisent dans la théorie juridique par lordre et lautorité de la collectivité globale dune part, le droit de décision en dernier ressort des Etats membres de lautre. Lidée déquilibre sexprime dans la répartition des pouvoirs et de même que les éléments de léquilibre sont soumis à des fluctuations constantes, de même le volume des pouvoirs appartenant aux gouvernants fédéraux et aux gouvernants locaux varie sans cesse avec les changements qui se produisent dans la solidarité fédérale. Il lui emprunte enfin la souplesse et la complexité. La souplesse lui permet de sappliquer à toutes les réalisations positives du fédéralisme, aux plus rudimentaires comme aux plus parfaites, la complexité dautre part lui permet de rendre compte de lextrême variété des institutions fédéralistes.
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