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1. La première difficulté que pose une telle interrogation au philosophe politique est de préciser à quel niveau il convient de l'envisager : regarde-t-elle plutôt le domaine du droit, celui des relations internationales, ou bien même celui de la morale ? Bien entendu, le sujet convoque littéralement la dimension du droit, et il est prudent de partir de là. Or celui-ci, dans sa réalité, ne concerne nullement la morale, cest-à-dire le domaine de la réflexion humaine dans lequel sévalue la rectitude des actions et des intentions du point de vue du bien et du mal. Il désigne plutôt lensemble des règles destinées à encadrer les actions individuelles et collectives, le système des normes qui rendent licites ou illicites les pratiques humaines. Formellement comparable au devoir moral (en tant quelle possède un pouvoir de contraindre qui ne relève pas de la seule violence), lobligation juridique en est très différente : elle ne concerne que les effets observables des attitudes humaines, que celles-ci soient singulières ou collectives, et ne saurait déterminer la droiture des intentions sous la rectitude des conduites. Une action juridiquement licite est amorale, elle peut même être immorale ; une action juridiquement illicite est également amorale, et peut même être morale. Cette distinction entre les ordres juridique et moral affecte lidée dun « droit mondial ». Cette dernière désigne un code juridique valable pour la totalité des relations humaines, sans distinction de nation, aussi bien que pour toutes les relations entre Etats. Lidée dun tel système semble donc correspondre à ce que les juristes nomment le droit international, quil soit privé ou public, et que lon nomme aussi « droit des gens » (du latin jus gentium, que reflète de nos jours lallemand Völkerrecht). Il est pourtant nécessaire de distinguer lidée dun droit mondial du système effectif des relations internationales, même dans le cas où lon considère de la manière la plus globale possible le fonctionnement de ces relations. En effet, si cette idée sappuie sur les relations internationales existantes, ces dernières nen sont que la matière première, ou encore le matériau brut quelle doit réordonner. La distinction entre lidée philosophique dun droit mondial et la réalité du droit public international est contrainte par ceci que la première recouvre bien davantage que la doctrine du jeu dalliances et de traités valant aujourdhui pour le monde, même si on lenvisage de la manière la plus complète. En effet, lidée philosophique dun droit mondial comprend en elle deux déterminations étrangères à tout système et à toute doctrine juridique des relations internationales que lon ait vu dans lhistoire. Dune part, elle recouvre lexigence dune norme juridique unique, universellement reconnue par toute la communauté humaine dans sa capacité à guider les comportements interindividuels et, par suite, dans sa capacité à régler les différends qui en découlent. Ainsi lidée dun droit mondial est-elle nécessairement grosse de la promesse dune paix universelle. Dautre part, elle comprend en elle la représentation dun étalon du juste susceptible dorienter les relations humaines dans lespace mondial dune manière qui ne serait pas a posteriori (comme pour le point précédent), mais a priori. Avec lidée dun droit mondial, deux espoirs apparaissent, celui dun univers humain pacifié et celui dune justice universelle. Nest-ce pas une manière de concilier les deux ordres distingués plus haut : le droit et la morale ? Le « plan dexpression » de lidée du droit mondial nest-il pas propice à rassembler le caractère licite des conduites et la rectitude axiologique des intentions ? Cependant, lidée de droit mondial suscite de nombreuses questions, aussi bien à propos de sa conception quau sujet de sa réalisation. En premier lieu, dans lhistoire passée, le droit a toujours été engendré par lEtat, cest-à-dire par une institution qui, si elle est rationnelle, est chargée de représenter une nation particulière. Comment concevoir le rapport entre les multiples instances de production de la loi, dans la particularité et la variété de leurs intérêts, et une norme supraétatique capable dintégrer les différences ainsi que de prévenir les différends ? Ensuite, derrière lajustement des conduites au plan juridique impliqué par un droit mondial, comment imaginer la « rencontre des murs » ? Le droit mondial ne suppose-t-il pas leur uniformisation ? Par ailleurs, les grandes difficultés, voire limpossibilité de réaliser le droit mondial en rend-il lidée caduque ? La simple possibilité dun droit mondial nest-elle pas susceptible dindiquer une voie originale pour la vie morale ? Dans un premier moment, il est nécessaire de relever les problèmes engendrés par la possibilité dun droit mondial tel que nous lavons défini. Un premier ensemble de problèmes provient de la nature même du droit. Dans limmense majorité des cas de figure quon rencontre dans la réalité, les règles de droit ont comme origine les Etats particuliers ; la légitimité dun ordre juridique a comme principe la souveraineté de lEtat qui la engendré, et son caractère incontestable dépend de la validité de celle-ci : moins la souveraineté étatique est contestable, plus le droit sera effectif en tant que norme prescriptive pour le comportement des citoyens. La souveraineté a en effet été définie dès sa première théorisation explicite par Jean Bodin dans les Six livres de la république comme « le pouvoir de donner et de casser la loi » (I, 1). Or, de manière plus affinée, la souveraineté étatique dépend elle-même de la reconnaissance que les citoyens dun pays particulier accordent à linstitution chargée de les représenter. En dautres termes, lefficacité dun code juridique, cest-à-dire sa capacité à être observé par les citoyens, est directement liée à son caractère de particularité nationale, puisque cette particularité « ethnique » de la loi constitue le moyen terme entre le citoyen et son Etat. Le code de droit nest efficace que pour autant que les citoyens se reconnaissent dans le pouvoir qui le promulgue. Dans ces conditions, un droit mondial paraît difficilement possible, parce quil ne peut sappuyer sur le principe ordinaire de légitimité du droit. De plus, la politique des Etats prend souvent la forme de la « raison dEtat », cest-à-dire que les Etats adoptent dans leurs relations mutuelles une ligne de conduite basée sur lintérêt particularisé, le secret et les calculs obliques. Le plus souvent les relations internationales ont, dans lhistoire humaine, été développées dans cet esprit, et, souvent, même des traités dalliance par lesquels sinstituait une prétendue « amitié des peuples » ont été passés en fonction dintérêts inavouables car visant lhégémonie et la domination. Dans cette mesure, et fort paradoxalement, les relations internationales sont souvent le reflet de la négation des virtualités comprises dans la possibilité dun droit mondial ; elles ont instrumentalisé le droit au lieu de se transformer au contact des potentialités philosophiques contenues dans cette idée. Une telle manière de faire a sa logique propre. Il existe ainsi une contraction structurelle dans les relations entre Etats, qui résulte de la nécessité dune organisation plus efficace de leur relations et de la volonté de retenir leurs prérogatives pour faire valoir leurs intérêts. Cette contradiction est la conséquence de la réalité des relations internationales pensées à partir du rapport de puissance quentretiennent les Etats, et elle anime littéralement lhistoire réelle. On peut ainsi trouver dans lexamen des relations internationales une double confirmation empirique de lexistence de cette contradiction, et par-là comprendre certains aspects structurels des relations entre Etats. Dune part, lhistoire diplomatique est tout à fait déterminée par la contradiction, au point que sa logique même en dépend. En effet, on voit que les grands traités qui, à lépoque moderne, ont donné au monde lallure que nous lui connaissons (par exemple le Traité de Westphalie de 1648, ou le Traité de Versailles de 1919) ont été engendrés au terme dépouvantables conflits et dans le but dinstaurer un nouvel ordre international, mais ils ont également été conçus par les vainqueurs contre les vaincus. On le voit très distinctement avec larticle 231 du Traité de Versailles, qui souligne la responsabilité de lAllemagne et de ses alliés politiques dans le déclenchement de la Grande Guerre, et qui exige quils assument seuls la charge de la dette de la reconstruction de lEurope. Or, la mauvaise habitude de rendre le vaincu responsable de la guerre a des effets désastreux, et elle est le reflet de la contradiction interne des relations internationales : les nations traitent entre elles dans les formes du droit mues par leur seul intérêt propre. Mis en uvre par la contradiction qui anime les relations internationales, les traités sont donc nécessairement éphémères : dans lhistoire du monde ils ont été tout aussi bien générateurs de paix (immédiatement) que fauteurs de troubles internationaux débouchant sur de nouveaux conflits (à moyen terme). Dautre part, les premières tentatives de mise en uvre dune structure dorganisation des relations internationales, conçus à partir de la souveraineté des Etats fondateurs, ont été profondément marquées par cette contradiction ; on le voit avec lexemple de la Société des Nations, issue du Traité de Versailles. Cette organisation a représenté la première tentative concrète de mise en place dun ordre juridique mondial, et peut être considérée comme une première « personnalité juridique mondiale ». Cependant, son fonctionnement reflétait la contradiction interne de la logique interétatique : non seulement la plus grande puissance mondiale (les U.S.A.) ne reconnaissait pas son autorité, mais encore chaque Etat membre surveillait les autres et tentait surtout dempêcher ses concurrents de sassurer le leadership européen et mondial. De surcroît, la faible crédibilité dun tel organisme, qui reposait sur le fait que même les Etats fondateurs tenaient à conserver jusquau bout leurs prérogatives, a rendu la S.d.N. totalement impuissante lorsque les régimes antidémocratiques soviétique, italien et allemand se sont engagés dans une politique de puissance destinée à conquérir lEurope. Discordante, hésitante, la voix des nations na pas porté bien loin lorsquil sest agi de défendre efficacement la paix européenne et mondiale. De cet exemple historique se tire cette conclusion, valable pour bien dautres cas : les normes et réglementations issues du droit des nations ont une valeur très faiblement prescriptives ; elles ne sauraient valoir avec la même efficience normative que les règles issues du droit interne. Ainsi que lexplique Hegel dans les Principes de la philosophie du droit (§ 330 et 333), le fait que le « droit public externe » repose sur le rapport de volontés distinctes et également souveraines rend caduque toute forme de tentative dharmonisation grâce à une source extérieure qui serait en situation darbitrage. Enfin, si lon quitte le plan des relations interétatique pour examiner leffet dune norme universelle sur les sujets de droit à lintérieur de chaque nation (en dautres termes, si lon délaisse un instant le droit international public pour se pencher sur le droit international privé), envisager la possibilité dun droit mondial conduit à mettre en relief une des conditions fondamentales dun tel ordre : la négation potentielle de la diversité des comportements humains. Ce que lon nomme le droit en Occident vaut pour un sujet qui dispose de lautonomie de sa volonté, cest-à-dire qui est capable de sindividualiser par une double démarche : le sujet de droit adopte comme siennes des fins construites daprès un projet rationnel, et il est capable de les justifier vis-à-vis des fins poursuivies par les autres sujets rationnels. Cest la raison pour laquelle les lois ne sont pas perçues par lui comme des commandements arbitraires, et que lobéissance aux règles communes ne vaut pas comme une soumission asservissante. Or, cest ici la description dun comportement juridico-rationnel qui, dans les faits, pourrait passer pour typiquement occidental. Il existe des zones entières du monde où le droit sappuie sur des traditions ancestrales. Le fondement du droit privé interne de nombreux Etats est représenté par des éléments de droit coutumier, justifié par les traditions ; la forme même du droit public de biens des Etats est moins positive ou rationalisée que jurisprudentielle. Les comportements que ces codes encadrent sont par principe rétifs à lunité formelle et au fondement rationnel dun droit mondial tel que nous lavons conçu jusquici. Ou alors, il faudrait admettre comme droit mondial une synthèse de tous les codes existants ; à supposer quune telle synthèse soit possible, sa bigarrure représenterait certes une sorte de garantie duniversalité, mais sa mise en uvre serait on ne peut plus complexe. Il est cependant nécessaire de souligner que la réalité du droit international comprend certains éléments laissant entrevoir la possibilité dune justice mondiale. Lidée dun tel droit, sans constituer la réalité de la logique internationale, développe certaines de ses potentialités dans le cadre de la réalité historico-politique contemporaine. Nous allons le montrer en privilégiant trois axes danalyse ; cet examen nous permettra de déterminer si, dans une certaine mesure, le début de réalisation du droit mondial noffre pas des pistes fécondes pour une extension du domaine traditionnel de la vie morale. Le premier axe danalyse sappuie sur une argumentation quon peut nommer utilitaire, voire utilitariste : il repose sur lintérêt bien entendu de chaque parti aux prises dans les relations internationales, quil sagisse des acteurs institutionnels (les Etats) ou privés (les grandes firmes multinationales). Dans leurs échanges incessants de matière première, de biens, de valeurs et de services, les acteurs du champ international ont besoin dun système de règles qui, sil ne fait pas office dune loi absolument régulatrice comme lest lautorité souveraine de lEtat pour le champ national, vaut tout de même de manière normative en cas de différend et de conflit. Il nest pas inintéressant de remarquer quune impulsion décisive au droit international moderne fut donnée avec luvre du jeune Grotius, le Mare liberum (ou De mare libero) de 1609, à propos dun différend opposant un Etat (lEtat hollandais) à une compagnie maritime privée (la Compagnie des Indes orientales). En instruisant le dossier de la défense dun cas de prise maritime faite par la Compagnie, lavocat privatiste, spécialiste des affaires commerciales internationales, a donné une première approximation dune règle juridique concernant le caractère licite ou illicite des conduites internationales. Or, même en tenant compte du caractère non totalement normatif du droit international (en regard du droit national), une telle tentative nest pas sans exercer une influence sur les conduites des participants à léchange. De nos jours encore, les Etats ou les firmes sont identifiés et qualifiés du fait de leur bonne ou de leur mauvaise conduite par les organisations internationales (comme lOrganisation Mondiale du Commerce) ou par les cabinets de conseil compétents en la matière. Sans un minimum de règles admises par tous les participants à léchange marchand, le commerce international serait tout simplement impossible, et personne ny gagnerait. Le droit international ainsi conçu comme droit des affaires engendre donc un esprit de déontologie, qui nest pas sans relation avec les caractères distinctifs de lidée dun droit mondial ; en tout cas, ladoption et la généralisation du droit international des affaires constituent une sorte de relais efficace pour la perspective dun droit mondial. Comme le remarque Agnès Lejbowicz dans son ouvrage récent Philosophie du droit international, la « lex mercatoria », si elle est issue dune source extraétatique (puisquelle désigne les régulations juridiques adoptées par les grandes firmes privées), a des effets sur les relations internationales entre Etats, et également sur le droit interne de ces Etats. En dépit du changement de registre quil implique avec le point précédent, le grand ouvrage de Grotius, le De Iure belli ac Pacis (Du droit de la guerre et de la paix) de 1625, a été conçu dans un esprit « utilitariste » comparable, ainsi quon va le voir à propos dun problème tout à fait important pour notre problème. Grotius entreprend de théoriser les règles du droit « dans la guerre » (ius in bello) ; or il sagit ici de penser non pas un droit qui interdirait la guerre, mais une déontologie des faits guerriers. Il sagit donc dexaminer ce qui, du point de vue dune logique de lintérêt particulier des nations, construit pourtant un ordre international et quasiment supranational. En effet, aucun Etat, même au plus fort de sa revendication perpétuelle de souveraineté, ne peut laisser ses troupes se comporter sur un champ de bataille comme de purs barbares, ni abandonner ses soldats défaits sur un théâtre dopération sans se soucier auprès de lennemi des règles de protection qui sattachent aux blessés et aux prisonniers de guerre. Même dans la guerre, les Etats sont donc obligés par leur propre intérêt à sentendre entre belligérants. La logique de guerre nest donc pas dominée par la pure violence : à moins que lon parle dEtats dont la politique est nihiliste (comme le fut lEtat allemand sous linfluence du nazisme), elle nest jamais exempte dune régulation destinée à être universellement acceptée par les participants au conflit. Le souci de préserver la vie et la dignité des participants à un conflit nous rapproche du deuxième axe danalyse. Parce que les arguments quil permet dappréhender ne sont plus utilitaires, mais philosophiques (ils concernent la représentation que lhomme se fait de sa condition et de ses fins), cet axe mérite un développement plus substantiel. Il concerne laffirmation mondiale de la logique des droits de lhomme. A lissue du second conflit mondial du XXème siècle, les terribles violations de leurs droits fondamentaux subis par des millions dindividus en vertu de leur appartenance à une religion (les Juifs) ou une ethnie particulière (les Tziganes), ont conduit les nations impliquées dans le conflit à mette sur pied une organisation mondiale des nations qui, malgré les apparences, na plus rien à voir avec la S.d.N. La différence desprit est sensible dans la Charte, adoptée par les Nations Unies en 1945 et progressivement ratifiée par la plupart des nations mondiales, affirme dès son préambule la « foi dans les droits fondamentaux de lhomme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans légalité de droit des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites ». LO.N.U. a pour vocation dexaminer la légitimité des actions des acteurs internationaux, de prendre publiquement position à ce propos, voire, dans une certaine mesure, dintervenir concrètement comme recours extérieur dans les situations de conflit entre Etats. Ce qui justifie lintervention de lO.N.U. relève de motifs humanitaires ; on voit ici que dans le droit international actuel, la question des droits de lhomme légitime la mise en uvre dune politique dintervention supraétatique. Il ne sagit pas encore de remettre radicalement en question la souveraineté des nations sur leur territoire, ni la pleine autonomie de leur ligne politique interne, mais il importe de constater que la notion dun « droit dingérence », à savoir lidée dun recours légitime de la communauté internationale sur un territoire national, a été thématisée à propos de lassistance humanitaire, en cas de crise nationale très grave (lorsquune partie de la population est mise en danger par une autre dans le cadre dune politique sectaire). Sesquisse ici une logique dune autre nature que celle qui régit les relations interétatiques, toujours intéressées et partielles dans leurs vues. Deux éléments constitutifs de la Charte fournissent un témoignage éloquent de cette évolution : dune part, il est significatif que le préambule de la Charte donne la parole aux peuples plutôt quaux Etats (« Nous, peuples des Nations Unies ») ; de lautre, larticle 3 mentionne le « droit des peuples à disposer deux-mêmes », formule dont on sait de quel contexte de lutte anticoloniale elle est issue : elle a permis de théoriser lindépendance des peuples asservis par les Etats coloniaux, tout au long du XXème siècle. Avec ladoption du souci des droits fondamentaux des peuples et des individus comme motif principal, il se joue dans la Charte une sorte de renversement des valeurs sur lesquelles était traditionnellement fondé lordre international : ce nest plus seulement la puissance des Etats qui le détermine, puisquil existe une personne juridique supraétatique pouvant légitimement y intervenir, dont le souci est la préservation des peuples et des individus, quoi quil en soit de la puissance de ces derniers (ils peuvent même ne pas être représentés par un Etat), et, en théorie, quoi quil en soit de l« intérêt » stratégique quils représentent pour les nations puissantes. Certes, de telles dispositions ne règlent pas définitivement les relations internationales sur le modèle du droit évoqué en introduction : larticle 2 de la Charte (§ 7) mentionne dailleurs une limitation explicite du droit dingérence, en adoptant comme principe « la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats ». Et lon pourrait dire que seuls les Etats qui ont déjà une ligne de conduite favorable au respect des droits fondamentaux de leurs peuples ou de leurs voisins, sont capables de comprendre la légitimité de la Charte, et dentrevoir quelle laisse effectivement espérer la réalisation des potentialités comprises dans lidée dun droit mondial. Mais depuis 1945, les effets réels de ses dispositions actualisent certains caractères de cette idée, dans la perspective de la logique internationale traditionnelle comme en ce qui concerne ladoption de nouvelles pratiques, contraires aux habitudes ancestrales en la matière : premièrement, au plan de la logique interétatique, la reconnaissance de légale souveraineté de toutes les nations mondiales a un effet restructurant sur la logique des relations internationales, car en principe elle ne privilégie plus les Etats puissants au détriment des faibles ; deuxièmement, en dehors de la logique interétatique, laction sur le terrain des « Casques bleus », à savoir celle dune force multinationale mandatée par lOrganisation, manifeste de manière extrêmement symbolique ce que peut être leffet dune « armée de la paix » pour lhumanité naturellement divisée, outre quelle a eu et a des conséquences pratiques évidentes dans les opérations humanitaires engagées. Cette seconde orientation ouvre la voie à lintervention dorganisations non étatiques destinées à assister les populations menacées dans leur condition dexistence, explicitement mandatées ou non par lO.N.U., et tolérées par les gouvernements nationaux dans la mesure où laide apportée ne relève par de lingérence dun autre Etat. Le principe philosophique qui anime une telle démarche, il convient de le souligner, est lhéritier dune tradition de pensée non seulement distincte de la logique de la souveraineté évoquée dans le premier moment de notre réflexion, mais encore, à bien des égards, opposée à celle-ci . La logique internationale « souverainiste » est fondée sur ladoption du droit positif comme référence de lorigine et de la légitimité du droit ; la Charte de lO.N.U., en affirmant la primauté du droit des peuples et des individus sur les Etats, sinscrit dans la filiation du droit naturel. Or cette tradition est porteuse dune idée dunité du genre humain tout à fait intéressante pour notre propos : si lidée dun droit mondial est porteuse de lespérance dune humanité débarrassée des conflits qui la déchirent, cest quen ladoptant du point de vue de la tradition du droit naturel, on aperçoit que le sujet du droit cest, collectivement, lensemble des hommes. Lidée dun droit mondial ne fait pour ainsi dire quaccomplir la « potentialité nécessaire » que comprend lhumanité, celle dêtre une unité composée dindividualités historiquement séparées en nations. Une telle idée animait déjà la réflexion des auteurs de la seconde scolastique, tels Vittoria et Suarez, ainsi quon le voit dans cet extrait du dernier auteur mentionné : « Le genre humain, bien quil soit divisé en nations et royaumes différents, a cependant une certaine unité, non seulement spécifique, mais aussi quasi politique et morale, qui résulte du précepte naturel de lamour et de la charité mutuelle, qui doivent sétendre à tous, même aux étrangers et de quelque nation quils soient. Bien que chaque cité parfaite, république ou royaume, constitue en soi une communauté parfaite et formée par ses membres, néanmoins chacune de ces communautés est aussi, dune certaine manière, membre de cet ensemble qui est le genre humain. Jamais, en effet, ces communautés ne peuvent séparément se suffire à elles-mêmes, au point de navoir pas besoin de leur aide réciproque, de leur association, de leur communication, soit pour leur mieux-être et leur grande utilité, soit à cause dune nécessité ou dune indigence morale, comme lexpérience le fait voir. Pour ce motif, elles ont besoin de quelque droit qui les dirige et les ordonne convenablement dans ce genre de relation et de société » (Suarez, De legibus, livre II, chapitre 19, 9). Référé à la tradition de pensée opposée à celle du droit positif, lidée dun droit mondial prend trouve sans contradiction sa signification philosophique : il ne sagit pas avec elle de se représenter le monde soumis à une même règle de droit qui serait imposée par une puissance dominante, mais de penser des règles de droit qui actualisent la nécessaire réunion de lhumanité dans la conscience delle-même, à partir dune possible détermination naturaliste du fondement des droits individuels. Enfin, on peut évoquer plus brièvement un troisième axe qui, dans la réalité des relations internationales, laisse entrevoir la mise en uvre de lidée de droit mondial, par le biais dun retour au droit positif. Cet axe concerne une orientation à la fois utilitariste (comme létait le premier axe) et philosophique (comme létait le deuxième axe). Il sagit de la mise en place progressive dun droit sur lenvironnement et sur le patrimoine. Confrontées aux conséquences inimaginables du progrès de la technoscience, les nations voient la nature mise en danger (par lexploitation industrielle des ressources, par la pollution liée à la consommation de lénergie), et les risques se multiplier sur son propre patrimoine (par lampleur prise par les moyens guerriers de destruction). Or la nature est le substrat fondamental de lhumanité, et son propre patrimoine représente son passé, cest-à-dire dans une grande mesure sa propre identité. Un double intérêt guide ici lentreprise de codification juridique mondiale : sans protéger la nature, il est impossible de survivre, sans respecter le patrimoine, il est impossible de se faire comprendre des générations à venir. Il se développe ainsi, au sein des droits nationaux comme dans le cadre des relations internationales, certaines initiatives qui tendent à indiquer lémergence dune responsabilité partagée sur lune et lautre. Les différents textes progressivement adoptés à la fin du XXème siècle à propos du respect de la nature et de la défense du patrimoine relèvent donc à la fois dun esprit dutilité et dune conscience philosophique de lidentité de lhumanité entendue collectivement. Il faut se demander si de telles démarches, au lieu dêtre simplement le témoignage dune nouvelle forme de conscience, ne constituent pas un principe possible pour le développement dun droit mondial, au sens où laffirmation de ce droit est gros de virtualités philosophiques : par la défense juridique concrète de la nature et du patrimoine, lhomme prend conscience de lui-même en tant qu« espèce globale », dans ses déterminations les plus spécifiques. Ici largumentation utilitaire retrouve la préoccupation philosophique : la réalisation de son intérêt vitale (survivre dans la nature, transmettre le patrimoine aux générations futures) passe nécessairement par la compréhension de ses fins collectives. Ces observations nous conduisent à entrevoir la possibilité dun lien entre droit et morale. Il est nécessaire, pour lapercevoir, dapprofondir la caractérisation de ce dernier terme. Parce quelle consiste en la tentative de rendre bonnes les conduites et les intentions, la morale repose sur deux facultés humaines. Dabord, la capacité subjective de se représenter les valeurs et les fins est présupposée pour la possibilité de la morale. Cette dernière implique également la capacité de conformer la conduite à ces représentations, ce quon nomme la volonté. Plus exactement, il ny a morale que pour un homme susceptible de juger les conduites (la sienne et celle des autres) et dêtre jugé dans sa conduite en fonction de cette double capacité. En dautres termes, la notion de responsabilité est à la fois le postulat et le principe fondamental de la morale. La conformité de la conduite et des intentions au devoir en général ou aux devoirs particuliers nest en fait que lexpression de cette responsabilité fondamentale de lhomme. Or, les éléments de réalisation dun droit mondial évoqués plus haut laissent entrevoir ce que pourraient être les cadres dune morale universelle. Et cela à plusieurs niveaux différents : dabord, le second point relevé évoque directement la conscience que lhumanité a delle-même, et, corrélativement, elle sanctionne le début du respect de lhomme par lhomme, ce qui est une des formes abouties du devoir. De ce point de vue, cette orientation du droit mondial nest pas sans évoquer la réalisation de limpératif moral tel que Kant lentendait : elle correspond ce dont est capable un être rationnel sobligeant par lui-même envers ses semblables. Ensuite, le premier et le dernier point relevé mettent en lumière une autre facette de la morale : celle-ci ne relève pas seulement de limpératif catégorique, mais, dans une approche de type utilitariste, du système des règles quune communauté se donne. Certes, les arguments développés dans les deux cas, qui concernent la mise en uvre de règles de comportement, sadressent certes à des agents rationnels dont on ne saurait sonder la rectitude des intentions ; cest seulement en tant que leur conduite est dominée par des impératifs hypothétiques quils ont tendance à se conformer aux règles collectives. Mais une définition déontologique de la morale est possible, et elle saccommode aisément de ces orientations récentes des relations internationales. 2. Mais de nombreuses résistances persistent vis à vis de linstauration de ce que serait un authentique droit mondial, et paraissent faire vaciller ces possibilités. Même le cadre de référence de lO.N.U. se prête à une forme de résistance : il existe comme une indépassable tension entre le droit des peuples à disposer deux-mêmes (revendiqué par les Etats, souvent lorsquils sont dirigistes et sectaires à légard de leur propre population) et le droit dingérence humanitaire. Pourtant, ne peut-on trouver dans ces résistances même des éléments pour penser la réalisation de lhumanité dans sa propre histoire ? Il semble que tel puisse être le cas. En premier lieu, on peut remarquer que la résistance à linstauration dun droit mondial seffectue dans le contexte dun univers « globalisé ». La « globalisation » économique du monde est un fait qui est susceptible dêtre vecteur du développement des droits de lhomme. Linformation circule dans le même mouvement que les marchandises ; dans un tel monde, même la rétention volontaire dinformations par un gouvernement sur une situation nationale en crise peut devenir le signe flagrant quun Etat commet des violations des droits de lhomme sur son territoire. La diffusion dune information mondiale à propos de la résistance illégitime dun Etat face à des enquêtes mandatées par lO.N.U. à propos droits de lhomme, si elle nest bien sûr pas suffisante pour contraindre ces Etats à adopter une attitude davantage respectueuse des droits de lhomme, fournit cependant un moyen de pression intéressant en regard de ce but. De plus, dans un tel contexte mondial traversé par linformation et dynamisé par les prises de position critique des observateurs internationaux, la résistance de certains Etats peut donner à penser la nature même du geste dunification du monde. Les nations peuvent être fondées à refuser ladoption dun droit mondial au nom de leurs particularismes ethniques et juridiques, quoique le même argument puisse être adopté par les Etats qui veulent défendre des conceptions archaïsantes et dégradantes de la personne humaine. Ces résistances trouvent un écho dans la communauté internationale, et elles se transforment dans la presse de réflexion en autant doccasions de penser les conditions réelles dun nouveau cadre juridique. Les résistances elles-mêmes offrent donc le moyen à lhumanité de réfléchir sa propre condition, contrainte quelle est de produire une synthèse entre particularisme ethnique et universalité de la notion de personne porteuse de droits fondamentaux. Les propositions pour un droit mondial, les avancées des droits de lhomme et les relations de coopération entre systèmes juridiques nationaux, dun côté, les résistances légitimes à ladoption spontanée dun code juridique universel, mais aussi les dénis de droit envers les ressortissants ou les minorités dun Etat, lorsquils sont rendus publics, tout cela doit être compris dans le cadre dune dynamique dintégration mondiale. Cette dynamique gagne à être réfléchie philosophiquement : en dépit des résistances réelles manifestées à la perspective de ladoption par tous les hommes du monde dune règle de droit positif adossée aux droits de lhomme, le fait même que cette perspective apparaisse dans lhistoire ne traduit-il pas lexpression toujours plus forte de la rationalité ? Et nest-on pas fondé à supposer cette dernière universelle ? Même si cette adoption ne se réalise pas dans un avenir proche, la tendance propre à un monde « globalisé » par les échanges marchands et par la circulation de linformation est celle dune extension indéfinie du comportement rationnel-raisonnable qui est typique de lautonomie de la volonté. Aussi, est-ce du moins en tant que possibilité que lidée dun droit mondial a une efficace propre. Les réflexions de Kant dans Idée dune histoire universelle dun point de vue cosmopolitique portent dans ce sens : constatant la permanence de la guerre dans les relations interétatiques, et justifiant en quelque sorte le fait guerrier, le philosophe ne dit pas que ladoption dune règle de droit valable pour tous les Etats va se réaliser dans un futur proche. Il explique que « le problème essentiel [nous soulignons] pour lespèce humaine, celui que la nature contraint lhomme à résoudre, cest la réalisation dune Société civile [souligné par Kant] administrant le droit de façon universelle » (Vème proposition) et que « Ce problème est le plus difficile : cest celui qui sera résolu en dernier par lespèce humaine » (VIème proposition). Ladoption dune règle dun système civil interétatique apparaît en tant que problème, et dans lhorizon de lhistoire humaine ou mondiale. Face à lidée dun droit mondial pour lhumanité, il sagit moins de penser en juriste quen philosophe, car une telle idée conduit à sonder les caractères essentiels de lespèce humaine, autant quà spéculer sur ses fins propres. Cest pourquoi lon peut dire que même si la réalisation de cette idée nest pas envisageable, la possibilité même dun droit mondial a des effets pratiques indéniables : elle anime la conscience que les sujets rationnels ont deux-mêmes en tant que communauté unie par un même destin ; cette possibilité, lorsquelle apparaît pour les consciences, détermine incontestablement la volonté des individus à agir dans le sens dune conduite bonne cest pourquoi elle peut être dite « pratique ». Cette fécondité pratique de la possibilité de lidée du droit mondial contraste avec la pauvreté ou la rareté de ses effets pragmatiques, cest-à-dire avec son efficacité pour laction immédiate. Ainsi, les remarques critiques de Hegel à lencontre de Kant (dans la remarque du § 333 des Principes de la philosophie du droit) ninvalident pas ce qui fait la pertinence de la méditation kantienne : ni la « société des nations », ni « lEtat cosmopolitique universel » qui sont mentionnés dans Idée dune histoire universelle ne sont envisagés comme les plans concrets de développement dun droit mondial, et cela pour la bonne raison que lhistoire humaine nest pas donnée, mais à construire. Selon Kant, la modalité de lhistoire humaine relève moins du réel que du possible. Cest sur le mode du possible que lhomme appréhende le processus par lequel il peut réaliser lhumanité ; et lidée dun droit mondial représente un outil de choix pour la conception et peut-être pour la réalisation de ce processus. Que lidée dun droit mondial soit possible a des conséquences sur la représentation que les hommes se font de lhistoire, cest-à-dire deux-mêmes comme espèce. Or cette apparente restriction de lhistoire réelle vers lidée de lhistoire ou vers lhistoire possible ne détruit pas irrémédiablement la possibilité dune morale universelle. Dans une certaine mesure, elle en marque même une étape nécessaire. Elle qualifie en effet le plan sur lequel peut sopérer la production collective dune conduite bonne : cest sur le terrain de la réflexion des fins de lhomme que doit nécessairement prendre appui une telle possibilité. Mais si lon voulait que lidée dun droit mondial reçoive sa première condition de réalisation, il faudrait sans aucun doute lenvisager sur un autre plan que ceux que nous avons articulés jusquici (les plans historique, anthropologique, juridique et philosophique). Il apparaît que la réalité dun droit mondial relève de la politique, cest-à-dire de lart par lequel une collectivité décide de ses projets et entreprend de les réaliser. Dans son contenu, le droit relève de lhistoire et de lanthropologie, dans sa forme, du droit, et dans son adoption universelle, de la philosophie. Mais dans sa mise en uvre concrète, il repose sur une délibération et sur une décision collectives. On peut en trouver une confirmation dans lhistoire récente de la construction européenne : ladoption toute récente par les Etats européens dune Constitution fondamentale représente pour notre propos un événement décisif. Elle renvoie en effet à la mise en uvre dun droit multinational effectif, dune manière bien plus fondamentale quune série de traités internationaux, parce quavec elle un ensemble disparate de nations a accepté de se penser sous une loi commune. Il est de plus remarquable que la question de la disparité des droits publics des différentes nations a été traitée sur le terrain politique de la remise en question de lidée de souveraineté nationale. Les immenses difficultés posées par ce problème, lors de la conception de la Constitution, signalent que les constituants se sont attachés à la racine du problème : pour quun droit mondial soit effectif, il est nécessaire que son adoption soit politique, cest-à-dire que les sujets de droit obligés par le nouveau code se reconnaissent en lui. Il est donc nécessaire de concevoir des ajustements, voire des transferts de souveraineté, en fonction dune méthode de hiérarchie des normes constitutionnelles, dans le but de mettre en uvre un Etat européen, sous quelque forme que ce soit (fédération dEtats, Etat supranational, etc.). Le statut de la nouvelle entité politique, lUnion Européenne, reste encore largement à définir, et surtout il lui est nécessaire de tester ses ressources et ses moyens daction par une conduite politique originale, mais cet événement est intéressant pour la réalisation de ce que nous avons conçu comme le droit mondial : adossée à une « Charte des droits fondamentaux de lUnion » qui affirme la valeur suprême sur lespace européen des droits fondamentaux des personnes (droits déclinés dans le texte de la Charte par ces quatre titres : dignité, libertés, égalité, solidarité), la Constitution promet la réalisation des caractéristiques propres à lidée dun droit mondial (apaisement des relations interindividuelles et interétatiques, et adoption dun esprit de justice sur toute laire européenne). Mais comme elle est en même temps un texte qui relève du droit positif quune instance politique sapplique à elle-même, elle possède une force dobligation à laquelle le droit international traditionnel ne peut prétendre. Du fait de cette double dimension, la Constitution européenne a peut-être valeur de modèle pour la mise en uvre dun code juridique qui correspondrait pleinement aux caractéristiques dun droit mondial. Lordre international est traversé par la menace, par lintimidation et par la violence, et souvent même il est structuré par elles. Les relations entre Etats, comme le note Hegel (Principes de la philosophie du droit, § 340) sont « un jeu [Spiel] hautement mouvementé de la particularité interne des passions, des intérêts, des buts, des talents et des vertus, de la violence, de linjustice et du vice ». Lhistoire de ce jeu remplit des bibliothèques, et apparaît littéralement sans fin : ce que les nations et les Etats savent le mieux faire, semble-t-il, cest se quereller et se déchirer. A cet égard, lexpression souvent employée de « communauté internationale » ne peut sentendre quen un sens très appauvri par rapport à la signification de la notion de « communauté », qui désigne un ensemble humain dont les membres, ayant adopté des valeurs communes et un esprit de bienveillance réciproque, sentendent dans une ambiance de familiarité et damitié. Si un droit international est nécessaire, cest précisément parce que la régulation rationnelle que ses normes instituent doit avoir valeur dobligation dans un contexte qui nest pas celui de la bienveillance réciproque. Mais ladoption dun code contraignant et explicite, comme lest le droit international, ne peut déboucher que sur la constitution dune société, cest-à-dire dun ensemble humain au sein duquel les rapports sont formels et de ce fait civilisés, et où, si les relations mutuelles sont cordiales, elles ne peuvent se prévaloir de la même confiance que les relations « communautaires ». Lidée dun droit mondial, telle que nous lavons entendue dans notre propos, permettrait peut-être de transformer la société contrainte et toujours éphémère des relations juridiques internationales en communauté mondiale. Cest dans cette mesure que linterrogation philosophique engagée par le sujet peut recevoir une détermination morale. Dans une communauté, en effet, autrui est demblée reconnu comme un semblable, nulle hiérarchie de préséance ou de puissance ne vient peser sur les relations interindividuelles. En dautres termes, si la question initiale nest pas directement morale, il serait nécessaire quelle le devienne. Certes, les relations internationales sont même un des terrains qui paraissent le moins propice au développement de la vie vertueuse, mais leur complet développement selon limpératif quelles se donnent explicitement (favoriser léquilibre mondial, si possible par la paix) semble nécessairement passer par une moralisation des conduites, cest-à-dire, en premier lieu, par la conformité entre les discours et les actes. Le problème est que le moyen qui semble nécessaire pour réaliser cette transformation est presque contradictoire avec la fin poursuivie : la politique, croyons-nous, est ce moyen, mais elle est également linstrument traditionnel de la défense des intérêts particuliers, et elle institue souvent la logique des conduites obliques. Par conséquent, il semble que seule une politique sans cesse surveillée par des citoyens déjà acquis à la cause de lhumanité puisse laisser espérer ladoption dun droit mondial. Professeur de philosophie 20/12/2008 |
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