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LIBRES PROPOS

Robert Soustre

Pour information

Madame la Préfète du Tarn-et-Garonne.

Madame,

En 1942, j'avais 7 ans, comme Armen, ce petit garçon que vous avez fait arrêter dans son école de Montauban le 25 septembre 2007 et que vous avez fait incarcérer à Cornebarrieu, un centre de rétention, avant de le déporter – pardon, « avant de l'expulser » – vers l'Albanie, où les gens d'origine serbe ne sont apparemment pas les bienvenus. Centre de rétention, camp d'internement, camp de transit… Mais un « centre de rétention », est-ce autre chose qu'une prison ? … Arrêté, emprisonné, puis expulsé parce qu'indigne de demeurer sur ce morceau de planète appelé France. Et qui en décide ? … Quelle est cette frange d'humanité, imbue de sa flatulente et méprisante importance, qui décide, à coups de tampons et de paraphes, du sort de gens déjà marqués par le malheur ? … Quelle est cette autorité, Madame, qui vous donne le droit, qui vous impose comme un devoir de semer derrière chacune de vos journées des pleurs, des désespoirs et des malheurs ? … Même si le contexte n'est pas le même, notamment sur le plan international, en quoi êtes-vous différente de tous ces préfets qui prêtèrent serment à Pétain et besognèrent pour appliquer sa politique d'exclusion des étrangers fuyant le nazisme ?

Je me souviens qu'en cette année de 1942, un soir, rentrant de l'école, ma sœur aînée, âgée de 8 ans (comme la sœur d'Armen !), me dit : « Des policiers sont venus à l'école et ont emmené une de nos camarades. »

Ce que cette petite fille devint par la suite, je n'en pris conscience que bien des années après cette arrestation. Les témoins de l'époque, le Préfet, les fonctionnaires de préfecture, les policiers qui obéissaient aux ordres savaient-ils quelle était la destination de cette enfant remise aux autorités allemandes en vertu d'accords de gouvernements ? … Probablement pas. Elle devait simplement, affirmait-on à l'époque, être envoyée à l'Est, avec ses parents, dans un camp de travail. C'était, bien entendu, pour ne pas la séparer de ses parents, par humanité donc, qu'on avait fait arrêter cette petite fille dans sa classe. Qui avait eu vent, dans les préfectures et les commissariats, durant cette période, de la conférence de Wannsée du 20 janvier 1942, conférence secrète où avait été décidée la « solution finale » ?… Cette camarade de ma sœur et ses parents étaient, pour les autorités de l'époque, des « indésirables », des « parasites », des « étrangers » qu'il fallait expulser car, pour la faune reptilienne de ce temps, ils constituaient une menace pour la paix de notre pays. Dès 1938, des centres de rétention avaient été construits pour y emprisonner tous les étrangers fuyant la gangrène du totalitarisme qui gagnait toute l'Europe. Deux cents camps furent installés dans notre pays – combien de centres de « rétention » aujourd'hui ? … Du reste, dès l'hiver 1939, était ouvert dans votre département le camp de Septfonds où l'on interna tous les « indésirables » de l'époque, notamment des républicains espagnols. Que ne le réhabilitez-vous pour y faire interner tous les étrangers non européens – au sens juridique du terme – tous les noirs et tous les maghrébins, nécessairement des parasites et des fraudeurs, du territoire soumis à votre autorité ? … Il y aura bien un procureur diligent pour vous fournir un « 78-2 », l'instrument légal des contrôles à grande échelle, ceux-ci détournés de l'usage prévu par la loi pour devenir le moyen de réaliser des rafles. Le faciès se reconnaît aisément, cela évite l'obligation du port d'une étoile … Votre avancement en souffrira-t-il ? … Je ne le crois pas, tant il est vrai que l'ignominie officielle reçoit toujours de confortables salaires.

Avant même que la guerre contre l'Allemagne ne fût déclarée, la France raciste et xénophobe donnait la pleine mesure de son fond humaniste et universaliste, avec l'aide des préfets, des gendarmeries et des commissariats – sans compter celle des délateurs zélés – pour mener la chasse aux étrangers, même ceux qui étaient depuis des années sur notre territoire. Aujourd'hui, c'est le même état d'esprit qui prévaut, ceci pour attirer l'électorat du FN, lequel, à ses débuts, ne l'oublions surtout pas, se constitua autour de Le Pen avec l'aide d'ex-miliciens et ex-waffen SS français. Mais Le Pen, il est vrai, n'a plus besoin de s'agiter car ses références racistes et xénophobes sont devenues celles de la politique de la nation en matière d'immigration. C'est ce qu'on appelle « la lepénisation des esprits ».

Je vois l'objection de tous ceux qui n'appréhendent l'orage que lorsque la foudre a déjà frappé leur maison : « Notre époque n'est pas celle des années 1940 ». Pourtant, dès les années 1920 et 1930, se rodait ce qui allait donner sa pleine mesure avec Pétain et sa clique. Le « Héros de la guerre 1914-1918 » et sa politique furent, du reste, majoritairement approuvés par la population française de l'époque, qui acclamait ce vieil homme dans tous ses déplacements, cela jusque dans les derniers mois précédant la Libération. Que ceux qui affirment que les pratiques d'aujourd'hui sont certes scandaleuses, mais qu'elles n'ont rien à voir avec l'esprit des pratiques des années 1940, se réapproprient les faits des vingt années précédant la guerre. Qu'ils lisent les ouvrages cités en référence à la fin de cet écrit.

En vérité, la police des étrangers et les fichages systématiques, avec la préférence nationale et les discriminations, sévissaient depuis la fin de la première guerre mondiale. Qui sait que ce que nos politiques xénophobes paraissent inventer aujourd'hui pour empêcher l'installation d'étrangers en France constituait le tableau de service de toutes les polices et de toutes les préfectures de l'époque : justification de ressources, connaissance de la langue, course aux papiers, exigence de justificatifs jamais suffisants, preuves de liens familiaux toujours douteux, expulsions, internement. Il est vrai qu'à l'époque on ne parlait pas de leur faire subir des tests ADN, même si certains « patriotes » portaient haut le drapeau de la « la race française ». Ajoutons que les ressortissants de « nos » colonies, qu'ils résidassent à Abidjan, à Rabat, à Alger, à Paris ou à Lyon étaient sur le territoire français et qu'on en avait besoin pour notre armée et notre prospérité.

Les préfets et les policiers d'aujourd'hui ne sont pas différents de ceux des années 1930 et 1940, même s'ils s'imaginent sortis d'un autre moule. N'oublions pas que jusqu'à la prise de pouvoir par le vieux maréchal, la France xénophobe était une démocratie. Aujourd'hui, pas plus qu'hier, la démocratie n'immunise contre l'infamie des élus qui fixent des quotas pour les arrestations et les expulsions, ni contre l'infamie des fonctionnaires qui appliquent cette politique. Quel que soit le régime politique, les préfets, les policiers et certains magistrats exécutent – même si beaucoup, pourtant, désapprouvent – les sales besognes et les crimes d'Etat. Sait-on que des policiers compromis sous le régime de Vichy, ayant chassé et torturé pour la Gestapo, poursuivis et licenciés dès 1945, furent réintégrés quelques années plus tard puis se livrèrent à la torture, et assassinèrent des algériens durant la période 1954-1962 ? … Le métier, la carrière, le salaire, les honneurs, la solidarité de corps, l'incapacité de s'opposer et d'affirmer son désaccord justifient tous les renoncements et toutes les lâchetés. Les textes existent, pourtant, qui justifient le refus d'obéissance face à un ordre contrevenant aux principes inscrits dans la Constitution et dans la loi, elles-mêmes dépendantes des engagements internationaux et des traités. Mais le refus d'obéissance n'est à la portée que d'une minorité, comme toute résistance à l'injustice. Apparemment, Madame, vous ne faites pas partie de cette élite. Tout le monde peut se réclamer de Jean Moulin; bien peu auront le courage, comme lui, de dire « Non ! ». C'est navrant, mais c'est ainsi. L'actuelle politique xénophobe de la France est critiquée et combattue par les organismes internationaux des droits de l'homme et par toutes les associations qui les relaient. Certains ministres, certains élus – comme ceux des années 1920 et 1930 – parlent de manipulation et de démagogie, ajoutant le déshonneur à l'infamie. Ils auront à en rendre compte devant l'histoire.

Je souhaiterais, Madame, achever cette lettre sur une expression de respect pour la fonction républicaine qui est la vôtre, mais non pour vos actes qui expriment, comme ceux des policiers qui ont procédé à l'arrestation d'Armen, à son incarcération et à son expulsion, toute l'horreur de la xénophobie et du racisme de papier et de bureau. Vous participez, Madame, à cette inhumanité intemporelle qui, toujours, plombe l'avenir de tous les enfants du monde. Puissiez-vous, chaque jour, vous souvenir d'Armen, de sa sœur et de la petite fille de 1942.

Novembre 2007

PS : J'apprends, ce jour, l'arrestation d'un immigré sur le lieu même où il était censé recevoir un titre de séjour pour la réception duquel on l'avait convoqué. Pour reprendre l'expression de Fadéla Amara à propos des tests ADN, c'est « dégueulasse ». Le procédé est « dégueulasse », comme sont « dégueulasse » ceux qui l'ont imaginé et ceux qui l'ont mis en œuvre. Aussi « dégueulasse » sont l'arrestation et l'enfermement d'une mère et de son enfant de trois semaines. En 1942, ces gens des préfectures et des commissariats d'aujourd'hui n'auraient pas agi autrement que leurs collègues de l'époque. Ils auraient été aussi lâches et aussi infâmes.

 

Références :

La république xénophobe, 1917-1939, par Pierre-Jean Deschodt et François Huguenin. Edition Lattès, 2001.

La France des camps, 1938-1946, par Denis Peschanski. Edition Gallimard, 2002.

Servir l'Etat français, 1940-1944, par Marc-Olivier Baruch. Edition Fayard, 1997.

La police de Vichy, 1940-1944, par Maurice Rajsfus. Edition Le Cherche-Midi, 1995.

Les enfants de papier, par Didier Epelbaum. Edition Grasset 2002.

 

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