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1921 - 2013 |
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GARRY DAVIS : « ET MAINTENANT, LA PAROLE EST AU PEUPLE ! » par René Wadlow Garry Davis, qui est décédé le 24 juillet 2013 à Burlington (Vermont, Etats-Unis), était souvent appelé le « Premier Citoyen du Monde ». Ce titre nétait pourtant pas tout à fait correct, car le mouvement citoyen du monde est apparu sous sa forme structurée dans lAngleterre de 1937, avec Hugh J. Shonfield et son Commonwealth of World Citizens, lequel fut suivi en 1938 par la création, aux Etats-Unis et en Angleterre de manière conjointe, de la World Citizen Association. Néanmoins, cest bien Garry Davis qui, en 1948 et 1949 à Paris, toucha un large public et popularisa ainsi le terme « citoyen du monde ». Garry Davis fut linitiateur de ce que je considère être la « deuxième vague de laction des Citoyens du Monde ». La première vague eut lieu entre 1937 et 1940, dans une tentative de contrer le nationalisme étroit quincarnaient lItalie fasciste, lAllemagne nazie et le Japon militariste. Cette première vague daction des Citoyens du Monde ne parvint pas à empêcher la Seconde Guerre Mondiale, mais elle mit en lumière le besoin dune vision cosmopolite globale. Henri Bonnet, du Comité pour la Coopération intellectuelle de la Société des Nations (SDN), également fondateur de la Section des Etats-Unis de la World Citizen Association, devint lun des intellectuels les plus influents de la France Libre du Général de Gaulle à Londres durant la guerre. Bonnet fut ensuite lun des fondateurs de lUNESCO ce qui explique que lorganisation soit basée à Paris dont il est aussi à lorigine de linsistance sur la compréhension entre les cultures. La Deuxième Vague de laction des Citoyens du Monde, dans laquelle Garry Davis joua un rôle de premier plan, dura de 1948 à 1950 soit jusquà ce quéclate la guerre en Corée et que chacun puisse se rendre compte que la Guerre Froide avait commencé, même si, en réalité, la Guerre Froide avait commencé dès 1945, lorsquil était devenu évident que lAllemagne et le Japon allaient être vaincus. Les Grandes Puissances victorieuses commencèrent vite à consolider leurs positions respectives. La Guerre Froide dura de 1945 à 1991, année de la disparition de lUnion soviétique. Durant la période 1950-1951, lactivité des Citoyens du Monde consista principalement en la prévention dune guerre entre les Etats-Unis et lURSS, très largement dans le cadre du contrôle des armements ainsi que du désarmement, et non sous un quelconque « drapeau des Citoyens du Monde ». La Troisième Vague de laction des Citoyens du Monde commença en 1991, avec la fin de la Guerre Froide et la montée, une nouvelle fois, de mouvements incarnant le nationalisme étroit, tels quils se manifestèrent lors de la dislocation de lUnion soviétique et de la Yougoslavie. De par son insistance particulière sur la résolution des conflits, les Droits de lHomme, le développement écologiquement durable et la compréhension entre les différentes cultures, lAssociation of World Citizens est la force motrice de cette Troisième Vague. Pendant les deux ans quelle a duré, la Deuxième Vague fut en fait une tentative de prévenir la Guerre Froide, et avec elle, la guerre chaude quelle aurait pu devenir, à savoir une Troisième Guerre Mondiale. En 1948, le Parti Communiste sempara de la Tchécoslovaquie, dans ce que lOccident qualifia de « coup dEtat » mais qui sapparentait bien plus précisément à une manipulation cynique des institutions politiques. Ce coup dEtat fut le premier exemple du changement de laprès-1945 de léquilibre du pouvoir entre lEst et lOuest, et de là naquit la conjecture sur dautres éventuels changements du même ordre, comme dans lIndochine française ou en 1950 en Corée. Mais 1948, cest aussi lannée où lAssemblée générale de lONU sétait réunie à Paris. Les Nations Unies ne disposaient pas encore dun siège permanent à New York, aussi lAssemblée générale sétait-elle réunie dabord à Londres puis ensuite à Paris. Tous les yeux, à commencer par ceux des médias, étaient fixés sur lONU. Personne ne savait avec certitude ce quil adviendrait de lONU, si elle serait capable de répondre aux défis politiques sans cesse plus importants ou si elle « suivrait la SDN dans sa tombe » Garry Davis, né en 1921, était un jeune acteur de Broadway, à New York, avant que les Etats-Unis ne se joignent à la Guerre Mondiale en 1941. Garry Davis était le fils de Meyer Davis, célèbre chef dorchestre populaire qui jouait souvent dans des bals mondains et était bien connu des milieux du spectacle dont New York était alors le berceau. Il nétait donc que très naturel que son fils intègre lui aussi la profession, ce quil fit en tant quacteur-chanteur-danseur spécialiste des comédies musicales de lépoque. Garry avait étudié au Carnegie Institute of Technology, une institution de pointe en matière de technologie. Quand les Etats-Unis sont entrés en guerre, Garry a rejoint lU. S. Air Force et est devenu pilote de bombardier B-17, basé en Angleterre et ayant pour mission de bombarder des cibles désignées en Allemagne. Le frère de Garry avait été tué durant linvasion de lItalie par les Alliés, ce qui conférait en lui un aspect de vengeance à ses bombardements de cibles militaires, qui durèrent jusquà ce que lon lui donne lordre de bombarder des villes allemandes dans lesquelles se trouvaient des civils. Après la fin de la guerre, redevenu acteur à New York, il se sentit investi dune responsabilité personnelle de contribuer à créer un monde en paix et devint ainsi actif au sein des Fédéralistes mondiaux, qui proposaient la création dune fédération mondiale dotée des pouvoirs nécessaires à empêcher toute guerre, sinspirant largement de lexpérience américaine de transformation dun gouvernement fortement décentralisé, suivant les Articles de Confédération, en un Gouvernement fédéral plus centralisé et structuré par la Constitution des Etats-Unis. A cette époque, Garry avait lu un livre très populaire chez les Fédéralistes, LAnatomie de la Paix (The Anatomy of Peace) dEmery Reves, Hongrois dorigine. Reves écrivait : « Nous devons clarifier tous les principes et parvenir aux définitions axiomatiques de ce qui cause la guerre et de ce qui engendre la paix dans la société humaine. » Si la guerre était le produit du nationalisme quest légocentrisme national, comme laffirmait lobservateur avisé de la SDN quavait été Reves, alors la paix exige que lon se défasse du nationalisme. Comme lécrivait Garry dans son autobiographie, Mon Pays, Cest le Monde (My Country is the World), « Pour devenir un citoyen du monde entier, pour proclamer mon allégeance première à lhumanité, il me fallait dabord renoncer à détenir la nationalité des Etats-Unis. Jallais donc faire sécession de lancien et proclamer le nouveau. » En mai 1948, ayant appris que lAssemblée générale de lONU devait se réunir à Paris en septembre et quauparavant, la conférence de fondation du Mouvement fédéraliste mondial au niveau international devait avoir lieu pour sa part au Luxembourg, il sest rendu à Paris. Cest là quil a renoncé à sa nationalité américaine et a rendu son passeport. Toutefois, il ne disposait daucun autre document didentité, dans une Europe où la police peut vous accoster dans la rue et exiger que vous lui montriez vos papiers sur-le-champ. Il avait donc imprimé une « Carte dIdentité Internationale des Citoyens du Monde Unis », même si les Français lavaient pour leur part enregistré comme « apatride dorigine américaine ». Dans le Paris de laprès-guerre, les « apatrides » ne manquaient pas, mais en dehors de lui, il ny en avait probablement aucun autre « dorigine américaine ». Renoncer à une nationalité américaine, ainsi quà un passeport que bon nombre des réfugiés présents à Paris auraient rêvé davoir à nimporte quel prix, cela ne pouvait que passionner la presse et valoir à Garry de très nombreuses visites. Parmi ses visiteurs se trouva un jour Robert Sarrazac, qui avait combattu dans la Résistance française et partageait les points de vue de Garry sur la nature destructrice du nationalisme étroit ainsi que sur le besoin de développer une idéologie citoyenne du monde. Garry fut aussi rejoint par un jeune homme qui se nommait Guy Marchand, lequel jouerait plus tard un rôle important dans la création des structures du mouvement citoyen du monde. Comme la police française naimait guère voir des gens sans papiers didentité valables se balader ici et là, Garry Davis déménagea pour sinstaller dans le bâtiment spacieux et moderne quétait le Palais de Chaillot, avec ses terrasses qui avaient été proclamées « territoire mondial » pour la durée de lAssemblée générale de lONU. Il y avait monté sa tente, attendant de voir ce que ferait lONU pour promouvoir la citoyenneté mondiale. Dans lintervalle, Robert Sarrazac, qui conservait de nombreux contacts de son temps dans la Résistance, avait créé un « Conseil de Solidarité » formé de personnes admirées pour leur indépendance desprit et qui nétaient liées à aucun parti politique en particulier. Le Conseil était dirigé par Albert Camus, romancier et rédacteur dans plusieurs journaux, André Breton, poète surréaliste, lAbbé Pierre et Emmanuel Mounier, rédacteur en chef dEsprit, tous deux étant des Catholiques dotés dune forte indépendance desprit, ainsi quHenri Roser, pasteur protestant et secrétaire en charge des pays francophones du Mouvement international de la Réconciliation. Davis et ses conseillers pensaient quil ne fallait pas que la citoyenneté mondiale soit laissée à la porte de lAssemblée générale mais quelle devait être présentée à celle-ci même comme un défi lancé à la manière conventionnelle de faire les choses, en un mot, « une interruption ». Cest pourquoi il avait été décidé que Garry Davis, depuis le balcon des spectateurs, interromprait la session de lAssemblée générale pour lire un court texte ; Robert Sarrazac avait le même texte en français et Albert Crespey, fils dun chef du Togo, avait un discours écrit dans sa langue natale togolaise. Après la pause qui suivait une longue intervention de la Yougoslavie, Davis sest levé. Le Père Montecland, « prêtre le jour et citoyen du monde la nuit », a dit dune voix bondissante : « Et maintenant, la parole est au peuple ! ». Davis a dit en anglais : « Messieurs les Président et Délégués, je vous interromps au nom du peuple du monde qui nest pas représenté ici. Même si mes mots devaient ne pas être entendus, notre besoin commun dune loi et dun ordre mondiaux ne peut plus être ignoré. » Après cela, des gardes de la sécurité sont intervenus, mais Robert Sarrazac, de lautre côté de la Galerie des Visiteurs, a continué en français, suivi par un plaidoyer pour les Droits de lHomme en togolais. Plus tard, vers la fin de la session de lONU à Paris, lAssemblée générale adopta, sans une seule voix contre, la Déclaration universelle des Droits de lHomme qui devint le fondement des efforts des Citoyens du Monde pour mettre en avant le droit mondial. Cest le Docteur Herbert Evatt, dAustralie, qui était le Président de lAssemblée générale de lONU en 1948. Cétait un internationaliste qui avait travaillé pendant la Conférence de San Francisco doù était née lONU pour limiter les pouvoirs des cinq Membres Permanents du Conseil de Sécurité. Evatt sentretint avec Davis quelques jours après cette « interruption » et encouragea Davis à continuer de travailler en direction de la citoyenneté mondiale, même sil nétait pas forcément des plus judicieux pour ce faire dinterrompre des réunions de lONU. Peu après avoir mis en lumière la citoyenneté mondiale à lONU, Garry Davis vint au soutien de Jean Moreau, jeune Citoyen du Monde français et Catholique militant qui, en tant quobjecteur de conscience au service militaire, avait été emprisonné à Paris, en labsence dune loi sur le service alternatif à lépoque en France. Davis campa devant la porte de la prison militaire de la Rue du Cherche-Midi, dans le centre de Paris. Comme la écrit Davis, « Alors quil est clairement visible que les citoyens dautres nations sont prêts à souffrir pour un homme né en France qui revendique le droit moral duvrer pour son prochain et de laimer plutôt que dêtre formé à le tuer, comme lont enseigné Jésus, Bouddha, Lao Tseu, Tolstoï, Saint François dAssise, Gandhi, ainsi que dautres grands penseurs et dignitaires religieux, le monde devrait commencer à comprendre que la conscience de lHomme elle-même transcende toutes les divisions et toutes les peurs artificiellement créées. Dautres rejoignirent Davis dans son campement de rue. Garry Davis travailla étroitement sur ce cas avec Henri Roser et André Trocmé du Mouvement international de la Réconciliation. Davis fut jeté en prison pour avoir campé dans la rue en pleine ville ainsi que pour manque de documents didentité valides, mais dautres vinrent bientôt le remplacer dans la rue, parmi lesquels un pacifiste allemand, véritable acte de courage si peu de temps après la fin de la guerre. Il allait falloir encore une décennie pour quun service alternatif soit mis en place en France, mais laction de Davis avait permis à la question de recueillir une large attention dans le pays et le lien était désormais clairement établi entre la citoyenneté mondiale et laction non-violente. Garry Davis na jamais été un « homme dorganisation ». Il se concevait comme un symbole en action. Après une année en France avec quelques courts séjours en Allemagne, il décida en juillet 1949 de retourner aux Etats-Unis. Comme il lavait écrit à lépoque, « Jai souvent dit que ce nétait pas mon intention de diriger un mouvement ou de devenir président dune organisation. En toute honnêteté et sincérité, je dois définir la limite de mes capacités à être le témoin du principe dunité mondiale, à défendre jusquà la limite de mes capacités lUnicité de lhomme et ses immenses possibilités sur la planète Terre, et à combattre les peurs et les haines créées artificiellement pour perpétuer les divisions étroites et obsolètes qui mènent et ont toujours conduit au conflit armé ». Peut-être du fait du karma, pendant le voyage en bateau qui le ramenait aux Etats-Unis, il a rencontré le Docteur P. Natarajan, enseignant religieux du sud de lInde dans la tradition oupanishadique. Natarajan avait vécu à Genève et à Paris et détenait un doctorat en philosophie de lUniversité de Paris. Lui et Davis étaient devenus amis proches et Davis avait passé quelques temps en Inde, au centre créé par Natarajan qui mettait laccent sur le développement de la vie intérieure. « La méditation consiste à faire entrer en vous toutes les valeurs », avait pour devise Natarajan. Cest au domicile de Harry Jakobsen, disciple de Natarajan, sur le Mont Schooly dans le New Jersey, que javais fait la connaissance de Garry Davis au début des années 1950. Jétais moi aussi intéressé par la philosophie indienne et quelquun mavait mis en contact avec Jakobsen. Cependant, javais rejoint les Fédéralistes mondiaux Etudiants en 1951 et je connaissais donc les aventures de Garry à Paris. Nous nous sommes vus depuis lors à Genève, en France et aux Etats-Unis de temps en temps. Certains chez les Fédéralistes mondiaux et les Citoyens du Monde pensaient que sa renonciation à la nationalité américaine en 1948 avait créé la confusion chez le public. Les Fédéralistes mondiaux, davantage adeptes du fonctionnement en organisation, préféraient mettre en avant lidée que lon peut être un bon citoyen tout à la fois dune communauté locale, dun Etat-nation et en tant que Citoyen du Monde. Toutefois, lintérêt de Davis et le mien propre pour la pensée asiatique nous a toujours liés, en dépit même de nos désaccords tactiques. Aujourdhui, il paraît approprié de citer limage souvent invoquée de la vague solitaire qui représente en fait un seul et unique éternel océan dénergie. Tout individu est à la fois une vague solitaire et une partie de la source impersonnelle doù tout part et où tout revient. La vague quétait Garry Davis est retournée à locéan dans toute son étendue. Il nous laisse un défi permanent avec cette phrase quil a écrite : « Il existe à présent un besoin vital de leadership qui soit à la fois sage et pragmatique, et les symboles, qui ne sont utiles que jusquà un certain point, doivent à présent faire place à des hommes qualifiés pour un tel leadership ». René Wadlow nb1--> A ne
pas confondre avec lAssociation of World Citizens
daujourdhui. |
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