Lionel Jospin -
Bernard Charles -
Robert Sarrazac -
Louis Sauvé
- Garry Davis
A l'occasion du 50ème anniversaire de la
mondialisation de CAHORS
et du département du Lot, la ville de Cahors
a édité une excellente brochure
de 36 pages, qui présente la
portée de l'événement, en
retrace fidèlement l'historique et fournit
des témoignages actuels de quelques uns des
personnages qui ont fait l'histoire. Le Registre
International des Citoyens du Monde et quelques
organisations mondialistes se sont trouvées
associées à cette manifestation.
Les textes de cette page sont extraits de cette
brochure que l'on peut encore trouver à la
mairie et dans les bibliothèques de
Cahors.
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Lionel
Jospin
Ce que des hommes imaginent, d'autres peuvent
à leur tour l'entreprendre. Les 24 et 25
juin 1950, emmenés par quelques
visionnaires, les habitants de Cahors et du Lot
ont su imaginer un monde sans frontières,
une humanité unie et plus forte, une
société internationale solidaire,
fondée sur le droit et l'égale
dignité de tous.
Ils ont ainsi dessiné ce qu'est, avant
tout, la " mondialisation " : la prise de
conscience d'une communauté de destin
pour l'humanité.
Depuis, les Citoyens du monde continuent de
faire vivre cet idéal dont, très
jeune, je me suis imprégné au sein
de ma famille.
Aujourd'hui, les traits les plus manifestes
de la mondialisation - l'intégration
économique croissante, la globalisation
des flux financiers - ne sauraient nous faire
oublier l'essentiel: la mondialisation doit
servir l'humanité, non se servir
d'elle.
Car si la mondialisation ouvre des
perspectives inédites, elle creuse aussi
les inégalités et nous expose
à des risques nouveaux. Nous devons donc
la penser, construire les institutions
nécessaires à sa
régulation, afin de la maîtriser
collectivement. Parce que des problèmes
globaux appellent des solutions globales.
Dans cette entreprise, nous pouvons nous
appuyer sur la vitalité de la conscience
internationale. Celle-ci, en cinquante ans,
s'est affermie. Et d'abord grâce à
des initiatives comme celle qui a réuni
dans le Lot, il y a un demi-siècle, des
femmes et des hommes sur la " première
route de la mondialisation ".
Continuons cette route. Elle mène
à la paix.
C'est d'ailleurs celle que nous avons
empruntée en Europe. Sur ce continent
longtemps broyé par les guerres, des
peuples ont su se rassembler par-delà les
frontières pour élever une maison
commune, fondée sur la paix et
l'unité politique, sur la
prospérité économique et le
progrès social. Nous devons consolider
cette maison, l'ouvrir à nos voisins.
Et, forts de cette expérience
réussie, sachons contribuer à
donner vie, pour le monde entier, à la
même espérance humaniste.
Lionel JOSPIN
Premier Ministre
|
Bernard
Charles
Qui s'en souvient aujourd'hui ? L'élan
quasi unanime qui aboutit à faire du Lot
un " Territoire Mondial " se produit à la
fin des années 40. L'humanité
encore secouée par les horreurs de la
dernière guerre est à nouveau
tétanisée par le spectre
d'Hiroshima...
L'idée d'une communauté
européenne n'en est alors qu'à ses
balbutiements, il faudra attendre 7 ans avant
que le Lotois Maurice Faure signe au nom de la
France le Traité de Rome... Mais
déjà une poignée d'hommes
rêve d'une planète sans
frontières, peuplée de Citoyens du
monde collaborant main dans la main pour sa paix
et sa prospérité, dans des
cellules de base que seraient les communes
mondialisées.
Il y a donc cinquante ans, les 24 et 25 juin
1950, Cahors fêtait solennellement mais
dans une liesse populaire incroyable sa
Mondialisation. En effet, l'année
précédente, Cahors, grâce
à l'adhésion de ses habitants et
de ses élus communaux, relayés par
des personnalités nationales,
était la première ville à
signer la Charte de Mondialisation. Les mois
suivants, 239 communes sur 330 que compte le
département lotois s'enflammaient
à leur tour, pour le projet d'une
planète sans frontières,
régie par une loi mondiale... A ce jour,
dans le sillage de Cahors, 943 communes dans 10
pays de 4 continents se sont
mondialisées. C'est dire si
l'expérience cadurcienne a
été suivie dans le monde
entier.
Au-delà du geste symbolique de
réinstaller la borne kilométrique
de la première route mondiale, comme il y
a cinquante ans, le 24 juin 2000, Cahors
réaffirmera que le combat est bien
à son niveau, au quotidien, pour faire
triompher les idéaux de justice, de paix
et de fraternité auxquels aspirent tous
les hommes de bon sens. De là à
imaginer que l'appel de Cahors devienne pour
l'essor du mondialisme ce que fut Vizille pour
la Révolution Française, l'appel
de 1788 donnant naissance aux États
Généraux de la France, il suffit
de l'action de quelques hommes de bonne
volonté...
Mais quoiqu'il en soit " Le Monde sera
mondialiste ou ne sera plus " pour plagier la
célèbre formule d'Albert Einstein,
" One World or None ". J'ai pu mesurer
personnellement tout le poids de cette formule,
il y a quelques mois, à l'occasion de ma
participation à la
délégation française
à l'Organisation Mondiale du Commerce
(OMC) à Seattle. Le débat est donc
bien ouvert...
Nous sommes très honorés du
message que nous a adressé Monsieur le
Premier Ministre qui, dès sa jeunesse, a
été imprégné par cet
idéal de paix et qu'il continue de
conjuguer au présent et au futur.
Bernard
CHARLES Député-Maire de
CAHORS
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Entretien
avec Robert Sarrazac
Robert Sarrazac a conçu en 1947 et
expérimenté les mondialisations de
communes, entre 1949 et 1958. Il avait 37 ans en
1950. Il a 87 ans.
Quel fut le
point de départ de votre engagement
?
je suis obligé de parler d'un
périple personnel qui a commencé le 6
août 1945, jour de l'explosion de la
première bombe atomique sur Hiroshima.
J'avais alors en charge le " Service Information
Allemagne " au Ministère des Prisonniers et
Déportés que dirigeait Henri Frenay.
Il m'avait demandé fin 44 de créer ce
Service pour tenter de réduire le
fossé psychologique qui séparait de
nous les 1100 000 prisonniers de guerre
enfermés dans les camps depuis juin
1940.
La bombe d'Hiroshima fut, après mon
séjour de 18 mois en Chine et la
création du " Service National des
Écoles de Cadres du Maquis " aux prises avec
la Gestapo, le troisième choc de ma vie.
Nous assistions ce jour-là à la fin
du système de défense
multi-millénaire consistant à porter
des poitrines et des armes aux frontières.
Il était prévisible que des bombes
atomiques miniaturisées seraient mises sur
des fusées portant à des milliers de
kilomètres. Une nouvelle période de
l'histoire humaine commençait.
Je décidais de tout quitter pour fonder
un Centre de réflexion sur les nouveaux
problèmes qui allaient se poser à
l'espèce humaine menacée
d'autodestruction... Début octobre 1945, je
quittais l'armée et créais en
février 1946 avec deux amis, le " Centre de
Recherches et d'Expression Mondialiste " en
même temps qu'un petit réseau d'une
vingtaine de camarades " Le Front Humain des
Citoyens du Monde ".
De quelles
manières avez-vous pris position
?
Dans la période 1946-47, nous avons
étudié les processus à venir
de " mondialisation "... Nous avons alors
créé les mots nouveaux de "
mondialisation ", " mondialisme ", " mondialiste ",
" mondialité ", " techniques d'approche de
la mondialité ". Mais nous étions
aussi tendus vers l'action. Il fallait d'abord
sortir du pacifisme bêlant comme on l'avait
trop connu entre 1919 et 1939.
Multiples conférences et
séminaires, à Paris et en province ;
diffusion de documents par la petite
Société d'Éditions, "Peuples
et Paix " ; nombreuses rencontres et discussions
avec des écrivains connus: Breton, Mounier,
Vercors, Queneau, Paulhan, des scientifiques:
Pierre Girard, Francis Perrin, qui avec les
journalistes furent les véritables
opérateurs de chocs sur l'opinion
internationale que nous allions pouvoir donner face
à l'Assemblée Générale
de l'ONU, entre octobre et décembre
1948.
Simultanément nous avions établi
des relations cordiales avec le " Groupe
Parlementaire Britannique pour un Gouvernement
Mondial " qui comptait 146 Députés,
Travaillistes, Libéraux ou Conservateurs.
Nous avions également participé aux
deux premiers Congrès des mouvements
fédéralistes pour un Gouvernement
Mondial, à Montreux en 1947 et à
Luxembourg en août 1948. C'est au retour de
Luxembourg, fin août 1948, que nous avons
découvert en première page de "
France Soir " l'existence de Garry Davis, Citoyen
du Monde numéro 1...
Que s'est-il
passé en novembre et décembre 1948
?
Le 19 novembre. Après des semaines de
préparation et d'organisation minutieuse, ce
fut l'interruption de l'Assemblée
Générale, au moment précis
où VICHINSKY représentant de l'URSS,
ancien procureur des fameux Procès de
Moscou, prenait la parole. Nous avions
préparé à plusieurs une
adresse brève et percutante qu'on devait
lire. Les caméras de CBS et NBC pour les
actualités américaines étaient
en place... Les policiers norvégiens de
l'ONU voyant Garry Davis assis au premier rang
près des caméras pressentaient que
quelque chose allait se passer.. Soudain, dans le
silence qui était lourd, un militant se
lève et dit d'une voix forte : " Et
maintenant la parole est au Peuple du Monde pour
quarante secondes ". Aussitôt Garry Davis se
précipite vers le balconnet en saillie
dominant le podium des
Délégués des États et
commence à lire la fameuse adresse : " Au
nom des peuples du monde qui ne sont pas
représentés ici, je vous interromps
". Ceinturé et bâillonné par
les policiers, il ne peut en dire qu'une partie...
Comme prévu, du second balconnet, à
une dizaine de mètres, je réussis
à dire la fin, ceinturé trop tard par
les policiers. A l'entracte, Albert Camus et les
Personnalités des " Amis de Garry Davis "
tenaient à la brasserie en face du Palais
une conférence de presse. Le lendemain, la
Presse française et internationale racontait
l'événement dans ses
détails.
Le 2 décembre. Toujours à l'appel
des mêmes personnalités et du
réseau médiatique, rassemblement
salle Pleyel pour adresser un message au
Président de l'ONU. 2 700 personnes dans la
salle, 3 000 dans la rue. Le texte d'un " Message
du peuple parisien " au Docteur EVATT,
Président de l'Assemblée
Générale est adopté à
l'unanimité. Trois questions précises
lui sont posées sur les intentions et
capacités de l'ONU. Il est averti que sa
réponse sera donnée au Peuple de
Paris au Vélodrome d'Hiver le 9
décembre à 20 H 45.
Le 9 décembre. A 17 H, le
Secrétariat du Docteur EVATT nous remettait
sa lettre de réponse, document
étonnant avouant l'impuissance de l'ONU "
dont le rôle n'est pas d'organiser la paix
mais de la maintenir quand les États
l'auront organisée ". Peu après 20 H
45, elle était lue aux 17 000 participants
de cette soirée vraiment mémorable.
La vérité était enfin
avouée... Dans les six semaines suivantes,
nous recevions 370 000 lettres dont 70 000 de
France.
Comment
avez-vous eu l'idée de mondialiser Cahors
?
Le concept de mondialisation des communes date
de 1947. De 1946 à 1948, nous avions appris
à expérimenter. Après
l'expérience de l'O.N.U., nous étions
résolus à tenter l'expérience
des mondialisations des communes qui
n'intéressait pas Garry Davis. Notre
collaboration cessa et il poursuivit son action
personnelle. Nous conservions des rapports amicaux
et nous l'avons invité à venir parler
à Cahors... Ce fut le hasard d'une rencontre
dans le train Paris-Toulouse qui m'orienta vers
Cahors. Ma rencontre avec Émile Bayant,
instituteur à Cahors... Un enthousiasme
collectif, l'étonnante participation de
toute la population les 24 et 25 juin
émerveillèrent Lord Boyd Orr, Henry
Usborne, les délégations
étrangères, André Breton,
André Fontaine et tous les journalistes...
C'était un signal prophétique, un
appel à l'accélération des
prises de conscience de la solidarisation
planétaire en cours. Il me paraît
évident que les mondialisations de Cahors du
Monde et du département du Lot,
fêtées le 25 juin 1950, va d'ici peu
prendre sa vraie place dans l'Histoire... Les noms
de Calvet, Sauvé, Francès, Vayssette,
Dehan, Mirouze, Latrémolière,
Juskiewinski, et mon ami Elie Taillefer restent
dans les mémoires. Ce fut une
expérience inoubliable de fraternité
vécue...
J'étais et je reste convaincu de la
nécessité de mondialiser les
communes. C'est au cours d'escales en Asie en 1938
(Colombo, Singapour) puis en Chine en 1939-40
(Tonkin, Cambodge) qu'une évidence s'est
imposée à mon esprit: la cellule de
base de la vie civilisée a toujours
été le village, la ville, hier
à travers le Conseil des Anciens,
aujourd'hui le Conseil Municipal... Notons un fait
qui n'est pas assez reconnu : toute commune fait
cohabiter sur son territoire des
tempéraments, des croyances, des choix
politiques divers et opposés. Toute commune
est donc une autorité morale indiscutable.
Elle a un poids social que n'ont pas les individus.
Aussi, elles peuvent se déclarer "
Territoire Mondial ", participer à des
élections mondiales pour faire naître
un pouvoir protecteur mondial... Sans
interférer en rien dans les fonctions et les
jeux habituels des États, les communes
délibérant en commun en nombre
toujours croissant, sur la gravité des
nouveaux problèmes mondiaux sans solution,
pourraient apporter une contribution inédite
à leur solution. Et avec la certitude
qu'elles seraient au moins écoutées
avec respect.
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Entretien
avec le Docteur Louis Sauvé
Quel fut
le point de départ de votre engagement
?
Comme tous les jeunes de mon âge, j'ai
été mobilisé en septembre
1939. N'étant alors qu'étudiant en
1ère année de médecine,
j'ai revêtu l'uniforme d'infirmier. Lors
de l'offensive allemande du 10 mai 1940, je me
suis porté volontaire dans l'artillerie.
Mais après la chute de Berlin, j'ai
compris comme tous les Français, que la
guerre était une chose horrible que
n'avait pu empêcher la
Société Des Nations. Nous
partagions pourtant avec l'Allemagne un capital
culturel commun exceptionnel (philosophique,
littéraire, musical ... ) auprès
duquel des frontières conventionnelles me
parurent ridicules. Le patriote que
j'étais est donc devenu mondialiste sans
le savoir et malgré tout, très
fier d'être français.
De quelles
manières étiez-vous
déjà engagés
?
Nous avions déjà fondé,
en 1941, mon ami le Dr Pierre Richard et moi,
l'association Pierre-neuve, observatoire de
l'exode rural et des problèmes
d'environnement liés à
l'industrialisation... Parisien de naissance, je
me suis installé comme médecin
à Gramat fin 46. Ayant acquis une
certaine expérience de
l'anesthésie dans le service de mon
père, alors Président de
l'Académie de Chirurgie, le nouveau
chirurgien de Cahors demanda ma collaboration.
Après un stage de quatre mois à
l'Hôpital Broussais dans un service de
pointe de chirurgie thoracique, je suis
arrivé à Cahors comme vacataire
dans le service du Dr jean Rougier, où le
Dr Lolmède fit venir son ami le Dr
Georges Toulemonde. En juin 1948, j'ai alors
jeté les bases, le premier en milieu
rural, d'un service de
Réanimation-Anesthésie et dans la
foulée, le second Centre de Transfusion
après Toulouse, ainsi qu'un service de
Pédiatrie...
Comment
êtes-vous entré en relation avec
Robert Sarrazac ?
C'est tout à fait par hasard qu'en
janvier 1949, Sarrazac (nom de
résistance, de son vrai nom Robert
Soulage), ancien créateur du Service
Nationale des Écoles de Cadres des
Maquis-Écoles, initiateur du Centre de
Recherche et d'Expression Mondialiste, rencontra
dans le train de Toulouse, un instituteur de
Cahors, Emile Baynac. Ce fondateur des Francs et
Franches Camarades (un ami, entre autres,
d'Orson Welles qu'il fera venir dans le Lot en
1953) fut de suite emballé par les
projets de Sarrazac. Emile Baynac communiqua son
enthousiasme à son ami Guy Marquis, chef
de bureau à la Préfecture. Guy
Marquis, un de mes premiers donneurs de sang,
connaissant mes idées, me proposa de
rencontrer Sarrazac.
Vous
souvenez vous de vos premiers échanges
?
Je me souviens de ma première
rencontre avec ce meneur d'hommes.
C'était en février 1949, au "
Bordeaux ", le plus grand bistrot de la ville,
situé alors au coin du boulevard Gambetta
et de la place du même nom. Sarrazac
déjà bien renseigné sur mon
compte, me dit : " je sais que vous êtes
chrétien... J'ai besoin de vous ". Il m'a
alors remis un ouvrage de Teilhard de Chardin: "
La Planétisation Humaine " et me raconta
ensuite rapidement son intervention
mouvementé à l'O.N.U. au Palais
Chaillot... Sarrazac pressé,
prévoyant une course aux armements
atomiques, voulait alors se lancer dans une
action populaire. Vizille (Dauphiné), en
juillet 1788, avait réclamé la
Convocation des États
Généraux de France. Pourquoi pas
aujourd'hui Cahors, mais ceux du Monde ? Pour
moi, cette rencontre de février 1949
reste un moment capital de ma vie. C'est en
effet dans ce bistrot de Cahors que la "Charte
de mondialisation", qu'il avait
préparée et pour laquelle, il eut
la délicatesse de me demander quelques
retouches, a reçu mon agrément
enthousiaste. Le mot mondialisation n'avait pas
la connotation désastreuse d'aujourd'hui.
Nous voulions " une coordination mondiale des
activités humaines " par delà les
frontières.
Comment
avez-vous fait pour convertir tout le Lot
?
Sarrazac décida de créer un "
Conseil de Mondialisation " du Lot dont je
serais le président. Comme j'étais
jeune médecin, parachuté dans le
Lot, auréolé d'une
spécialité
médico-chirurgicale nouvelle,
j'étais tout indiqué pour jouer le
prophète qui n'est pas du pays.
Bientôt j'attirais une poignée
d'hommes extrêmement
dévoués, de colorations politiques
les plus diverses, condition d'une
réussite : des enseignants, agnostiques
comme Mirouze, des "talas" comme Dehan, des
médecins comme Latrémolière
et Juskiewinski de Figeac, Henri Gilles de
Cahors, un militaire retraité, Glangetas,
le libraire Francès qui transforma son
magasin en " Permanence ", le fonctionnaire Guy
Marquis, un grand nombre de collégiens de
terminale, Bettini, Blanc, Henras, Jouve, Le
Garrec, Védrunes, des entrepreneurs et
conseillers généraux comme
Marcouly, tous marchèrent à fonds.
On allait bavarder avec tous les conseillers
municipaux dans leurs champs, le plus souvent
paysans sympathiques et ouverts. je leur disais
: " Vous êtes paysan, vous avez les
mêmes soucis que tous les paysans du
monde, vous devez les résoudre ensemble.
La mise en commun de nos savoirs, l'ouverture
des frontières sont des occasions
exceptionnelles à ne pas rater! ". C'est
vrai, il a fallu franchir le cap du ridicule
mais chacun de nous avait le sentiment de
travailler pour l'Histoire.
Qu'évoquent
pour vous les journées des 24 et 25 juin
1950 ?
D'être trop rapidement
dépassées par les
événements. Ces journées
resteront - quoi qu'il advienne - gravées
dans l'Histoire du Lot, de la France... et
même du Monde. Des drapeaux aux couleurs
mondiales flottèrent sur certains
édifices publics à
côté du drapeau tricolore, la foule
en liesse se massait au pied de la Mairie pour
écouter religieusement le prix Nobel de
la Paix, Lord Boyd Orr, fondateur à l'ONU
de la FAO, venu de sa lointaine Écosse.
Le pont VaIentré fut l'objet d'un des
premiers spectacles " Sons et Lumières ".
J'avais même composé le programme
musical : le premier mouvement de la 1°
Symphonie de Beethoven éclata dans un feu
d'artifice ... Ensuite tout le monde,
accompagné des délégations
étrangères, emprunta la " Route
Mondiale n° 1 ". Sur les hauteurs, les
paysans avaient allumé d'immenses feux de
la Saint-Jean. Arrivé à
Saint-Cirq-Lapopie devant le village
médiéval embrasé,
André Breton, lui-même participant,
fut frappé par l'ambiance
surréelle 1 Puis voilà que
brusquement, dans la nuit, éclata la
guerre de Corée. Chacun y vit le
déclenchement de la 3' Guerre Mondiale,
cette fois-ci atomique. Alors finie la
Fête, finie l'épopée...
Que
s'est-il passé après ces
journées de fête ?
On eut le bref sentiment que tout
était fini. Certes, je fus invité
à Londres en 1952 par la 2ème
Assemblée de l'Association Internationale
des Parlementaires Mondialistes, à
côté de l'Abbé Pierre. je me
souviens d'un dîner mémorable avec
mon épouse dans la grande salle à
manger du Parlement dominant la Tamise, aux
côtés du 1er Ministre Lord
Clément Atlee. J'ai participé
à une Assemblée des Peuples
à Genève. Mais dans le Lot,
c'était la démobilisation avec la
dispersion de l'équipe, le départ
des collégiens des classes de terminales.
D'autres départements
continuèrent... À ma retraite,
j'ai fait restaurer l'orgue de Cahors,
créé un atelier de reliure
à la prison de Cahors... Ca me fait
drôle d'atteindre les 83 ans!
C'était hier..
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Entretien
avec Garry Davis
Quel fut
le point de départ de votre engagement
?
La guerre, ce fut un véritable choc.
D'abord un choc par rapport à mon
éducation familiale. Mon père
était un chef d'orchestre
réputé, Meyer Davis,
fréquemment convié à la
Maison-Blanche. Ma mère, Hilda,
était également artiste. Mes deux
autres frères étaient musiciens,
ma sur et moi étions
comédiens. En 1940, je jouais dans un
théâtre ; ma philosophie
était alors de rendre le public
heureux... J'ai été appelé
en 1941, comme pilote de bombardier dans la
8ème U.S. Air Force (stationnement
près de Londres) ...
Mes cibles étaient alors l'Allemagne,
la Belgique... J'étais jeune, j'avais
été happé par la propagande
de la guerre... 5 miles au dessus des
populations civiles, c'était une sorte de
fantaisie... Rien dans mon éducation ne
m'avait préparé à
être un tueur. A ma 6ème mission
au-dessus de Berlin, mon avion a
été touché par la DCA, j'ai
du me poser en Suède. Interné, je
me suis évadé trois mois
après. J'ai alors traversé ce
qu'on appelle une crise de conscience.
Le fait qu'on soit entré dans une
période d'extermination avec pour seule
excuse que la guerre des nations était
légale, j'ai eu besoin de
réfléchir... J'ai repensé
mon identité envers les États
souverains qui étaient responsables de la
guerre. Au lieu de retourner à Broadway
poursuivre une carrière obscure d'acteur,
j'ai décidé de faire triompher
l'idée d'un gouvernement mondial, seule
solution à mes yeux pour éviter un
nouveau conflit.
De quelles
manières concrètes avez-vous pris
position ?
A 27 ans, j'ai choisi de faire parler de moi
pour donner corps à mon
idée...
Premièrement, dès mon
arrivée en France en mai 1948, j'ai rompu
avec ma patrie d'origine en remettant
symboliquement mon passeport américain
à l'ambassade des États-Unis
à Paris.
Deuxièmement devenu apatride, j'avais
le droit et le devoir de choisir ma
citoyenneté... Parce que
l'humanité était en danger,
j'étais en danger.. je me suis donc
déclaré citoyen du monde. Je
n'étais pas Américain,
Français ou Japonais, en sortant du
ventre de ma mère, j'étais
entré dans la famille Monde pour le
meilleur et pour le pire...
Troisièmement, j'ai dressé ma
tente sur les marches de la Place de Chaillot
devant le Palais du Trocadéro, y campant
jour et nuit, pour demander asile et protection
à l'Assemblée
Générale de l'ONU qui se tenait
dans le Palais... Un mois plus tard une
vingtaine d'intellectuels dont Albert Camus,
André Gide, Jean-Paul Sartre,
André Breton, l'abbé Pierre sont
venus me soutenir
Quatrièmement j'ai lancé le "
Registre International des Citoyens du Monde ",
c'est-à-dire l'enregistrement des
citoyens du monde par la prise d'une carte
d'identité numérotée ;
l'idée était simple et
immédiatement réalisable. Robert
Sarrazac m'avait convaincu de
l'intérêt de la notion nouvelle
d'"Institutions Mondiales Techniques Neutres
"...
A l'époque d'autres, de nombreux
savants atomistes et intellectuels, comme
Einstein, Gandhi, Willkie... avaient
déjà écrit des livres sur
le besoin d'une loi mondiale disant que la
guerre n'était plus légale...
Certains
ont commenté votre "naïveté"
et votre course aux médias
?
D'une part, je n'étais pas naïf,
au contraire ... La naïveté,
c'était et c'est toujours, de croire que
l'on peut avoir la paix avec les mêmes
institutions. je ne crois pas non plus à
l'efficacité du fédéralisme
où toutes les nations renonceraient
à une partie de leur souveraineté
pour créer un gouvernement mondial... Ce
n'est pas aux États mais à chaque
citoyen, enregistré comme citoyen du
monde, d'élire un gouvernement mondial
... De même, en est-il de
l'élaboration d'une constitution mondiale
; j'en ai dix sur mon bureau... Mais, une
constitution qui n'a pas le soutien du peuple,
ce n'est qu'un morceau de papier...
D'autre part, j'étais apatride, la
presse était mon seul ambassadeur. Je
n'ai pas eu le soutien d'un État ou d'une
ambassade. J'étais donc seul avec mon
idée et quelques amis. La presse fut pour
moi un outil de travail. Nous n'avions pas
d'argent mais nous avions des idées. Je
ne pouvais pas me contenter d'envoyer des
communiqués à la presse. J'ai donc
voulu surprendre, attirer leur attention... La
presse, vous savez, est en partie achetée
par l'État par les hommes d'affaires. Il
fallait faire réagir nos hommes
politiques... jusqu'à Cahors!
Que
s'est-il passé après ces
années de forte mobilisation personnelle
?
Entre 1948 et 1950, nous avons eu quelques
750 000 personnes enregistrées. La dessus
la guerre de Corée a
éclaté... J'ai continué
à militer... J'ai créé
symboliquement le passeport mondial;
écrit 4 livres sur le sujet;
créé le journal World Citizen
News, fondé la World Citizen Foundation,
lancé 4 sites sur internet : dont un sur
" Worldgovernment " et un site personnel "
Garrydavis "... je me suis même
présenté sous l'étiquette
du parti des Citoyens du Monde à la
candidature de maire de Washington en 1986 et
à la candidature de Président des
États-Unis en 1988... Une fois encore, ce
n'étaient que des gestes symboliques mais
qui m'ont permis d'expliquer qu'on pouvait
être citoyen du monde à n'importe
quel niveau de la politique...
Je suis père de Kristina, Athena, Kim
et Troy je suis heureux à 77 ans que l'un
de mes fils, Troy poursuive mon uvre.
Mondialiste convaincu, ancien étudiant
à Harvard, se bat lui aussi pour la
désignation d'un gouvernement mondial
chargé de trois missions essentielles :
prévenir les guerres, défendre
l'environnement et protéger les droits
des minorités. Pour Troy le seul clivage
qui tienne, c'est le clivage entre
démocratie et dictature. Et l'unique
remède est de se mettre à
l'écoute des peuples, des individus et
des minorités afin de promouvoir
l'émergence d'un état de droit
mondial...
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